vendredi 17 février 2012

Nicholas Angelich et Juraj Valčuha au sommet avec l’Orchestre de Paris


Pleyel, jeudi 16 février 2012
Juraj Valčuha - Photo : DR

Il est des soirs où l’on touche littéralement au bonheur, même avec un programme a priori sans surprises ni attrait particuliers tant les œuvres sont archi-rabâchées ou sans intérêt apparent. Ainsi en était-il sur le papier hier soir, Salle Pleyel, pour un concert de l’Orchestre de Paris apparemment ordinaire, avec un Concerto « l’Empereur » de Beethoven fort fréquenté et la Symphonie « Ecossaise » de Mendelssohn-Bartholdy qui promettait la grisaille… Or, il n’en a rien été, bien au contraire. Le public ne s’y était d’ailleurs pas trompé, semble-t-il, puisque l’affiche était barrée d’un bandeau annonçant le concert « complet ». L’ouverture moins courue qu’est celle du König Stephan (Le Roi Etienne)  op. 117, œuvre de circonstance que Beethoven composa en 1811 en hommage au fondateur du royaume de Hongrie en l’an 1000, Etienne Ier, à l’occasion de l’inauguration à Pest d’un nouveau théâtre, a mis la puce à l’oreille de l’auditeur, tant il en a émané de charme mêlé de nostalgie. Le geste précis, large et généreux du jeune chef slovaque Juraj Valčuha, actuel directeur musical de l’Orchestre symphonique de la RAI de Turin, a attisé des couleurs chaudes et radieuses de l’Orchestre de Paris qui allaient enluminer le programme entier. A commencer par le Grand concerto n° 5 en mi bémol majeur op. 73 de 1809 dans lequel, sous la baguette inspirée du chef de 35 ans, l’Orchestre de Paris s’est avéré être un authentique partenaire du soliste, faisant jeu commun (et égal) avec l’Américain Nicholas Angelich, geste majestueux et étincelant qui a exalté un son plein et charnel, une noblesse de ton et une puissance impressionnante transcendées par un nuancier fabuleux, du pianississimo le plus évanescent au fortissimo le plus vigoureux, le tout sans le moindre effort apparent. La communion soliste-chef-orchestre est apparue si évidente que les bis auraient dû être partagés, mais seul le pianiste, non sans hésitation néanmoins, a fini par concéder au public insistant deux courtes pièces introspectives, un extrait des Scènes d’enfant de Schumann et une mazurka de Chopin. 

Mais si l’on s’attendait à pareille réussite dans Beethoven avec l’immense talent d’Angelich, la surprise a été grande en revanche à l’écoute d’une Symphonie n° 3 en la mineur « Ecossaise » op. 26 de Félix Mendelssohn-Bartholdy d’une vivacité et d’un lyrisme inespérés. Juraj Valčuha en effet en a fait une œuvre d’une singulière théâtralité, sa vision suscitant une variété de climats et de couleurs digne d’un ample poème symphonique. Entreprise en 1829 durant un voyage en Ecosse, achevée douze ans plus tard à l’occasion d’un séjour à Londres, cette symphonie dédiée à la reine Victoria exhale une singulière émotion, alternant mélancolie, tragique, tourment, grâce, légèreté, résolution pour se conclure dans un lyrisme d’une grandeur chaleureuse annonciateur de Schumann. Loin des brumes écossaises, conformément au dessein de l’auteur, l’Orchestre de Paris a prodigué toute la sève inhérente à cette musique saturée de paysages plus somptueux les uns que les autres que Richard Wagner a célébrés et qui semblent venus des romans épiques d’un Walter Scott.
Bruno Serrou

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