jeudi 21 juin 2012

Défaite de la Musique


Paris, jeudi 21 juin 2012 

Jour sans musique, pour moi. Jour de deuil pour l’art des sons. Oreilles en déserrance cherchant à éviter l’agression des amplis survoltés, des haut-parleurs saturés, des instruments désaccordés, des fausses notes et des voix éraillées… Le soleil l’a d’ailleurs compris, préférant se cacher derrière d'épais et menaçants nuages dans l’attente de pluies et d'orages salvateurs. La dictature du bruit a raison de notre compagne bien-aimée qu’est la Musique, chaque jour toujours plus défaite. Et dire que celui qui a soufflé l’idée saugrenue de « fête de la musique » au ministre paillettes responsable du démagogique « tout est culture », le place-des-vosgien Jack Lang, était un critique musical de renom s’exprimant jusqu’à sa nomination à la Direction de la Musique au ministère de la Culture dans les colonnes du Nouvel Observateur. Maurice Fleuret, puisqu’il s’agit de lui, était-il honteux de compter parmi les défenseurs d’un genre qu’il considérait de toute évidence comme « bourgeois » et « élitiste » et qu’il avait pourtant longtemps défendu ?...

Que vont peser ce 21 juin les 110 musiciens de l’Orchestre National de France, qui joueront en plein air à proximité de bruyants amplis de plus de 1000 watts un programme par trop consensuel ? Et l’Orchestre de Paris, sous la pyramide du Louvre à l’acoustique tue-sons ?... Ayons aussi une pensée pour chorales, ensembles de musique de chambre et orchestres amateurs qui vont tenter de se faire une place dans un environnement sonore pour le moins agressif…

En trente ans, la Musique a été toujours plus systématiquement confinée par les nombreux ministres qui se sont succédés depuis 1981 dans une niche et s'est vue accoler au sein-même de son ministère de tutelle le qualificatif « classique », tandis que les musiques populaires, binaires, boîte-à-rythmées et sans autre nuance que fortississississimo ont été élevées au rang de "Musique". A l’instar des femmes et hommes de culture qui n’ont jamais osé tirer le moindre signal d’alarme face au rejet toujours plus prégnant des sources artistiques judéo-chrétiennes de la culture occidentale au nom du consensus et de la laïcité, aucun musicien, responsable d’institution, édile, journaliste, mélomane n’a pris le risque (?) de manifester son inquiétude devant les politiques démagogiques et plébéiennes qui cherchent bien évidemment à caresser l'électorat dans le sens du poil et le plus largement possible, particulièrement les jeunes, avenir de la Nation, édiles et intellectuels étant atteints de « jeunisme » galopant et gangrenant, et, qui, en optant pour une facilité plus porteuse de résultats immédiats que le travail de fond, préfèrent renoncer à la formation et à l’éducation musicale, trop dispendieuse, complexe à mettre en place et jugée « prise de tête ». L’Education nationale donne d'ailleurs la latitude à ses enseignants musicologues de n’évoquer que les musiques populaires afin d’éviter le désordre dans les salles de classes, les cours de musique n’étant obligatoires que dans les collèges, établissements voués par essence à l’adolescence, période de la vie où les êtres en devenir refusent de se distinguer de leurs semblables.

Pour complaire à leurs tutelles, aux annonceurs et à leur audimat, les médias de l’audiovisuel participent à la dégradation : les chaînes de télévision ne diffusent plus la moindre note de Musique, Arte, chaîne germano-française, étant LA magnifique exception dans le paysage audiovisuel des chaînes non codées. Et que dire de cette chaîne de radio publique à large audience qu'est France Inter qui ne craint pas de titrer l’une de ses très-très rares émissions musicales « C’est du classique mais c’est pas grave », comme si la Musique était microbienne, bactérienne ou cancérigène, et les notes des organismes génétiquement modifiés… Et que penser de France Musique, qui accueille des émissions de variétés, de rock et de pop’ plus doctes que ce qui est injustement reproché aux émissions qui forment le socle et le fondement de la chaîne, tandis que France Culture a réduit la place de la Musique à peau de chagrin, Radio France se gardant bien d’imposer par ailleurs à sa chaîne d’jeun’s, Le Mouv’, un créneau horaire à la Musique… Seuls les deux orchestres de la Radio ont pris la mesure de la désertification musicale en créant chacun un département pédagogie fédérant écoles, collèges et lycées parisiens, à l’instar de nombreuses autres institutions, comme l’Orchestre de Paris, l’Orchestre National d’Île-de-France, que les tutelles semblent pourtant vouloir chercher à enterrer malgré le remarquable travail sur le terrain en Région Parisienne, et l’Opéra de Paris, ou en régions, comme à Besançon, Dijon, Lille, Lyon, Montpellier, Strasbourg, etc.   

Et nos Conservatoires, qui s'ouvrent désormais aux genres populaires, y compris le rap... alors que les places sont de plus en plus rares dans ces institutions pour ceux qui souhaitent apprendre à jouer d'un instrument et à étudier la Musique... 

Bonne journée quand même ! Et vive l’été 2012 !

Bruno Serrou

Photo : DR

3 commentaires:

  1. Contrairement à ce que vous écrivez dans cette chronique globalement (et malheureusement) juste, il existe bien en France UN musicien -grand pédagogue qui plus est- qui s'est élevé contre la démagogie ambiante, c'est le compositeur, organiste et architecte d'orgue Jean Guillou, 83 ans au compteur, titulaire de l'orgue de St-Eustache depuis 60 ans, joué, enregistré, écouté, réclamé en Allemagne, au Japon, en Corée, en Espagne, en Italie, en Suisse... partout sauf en France, son propre pays, où il a refusé la Légion d'Honneur que le Ministre tentait de lui pendre au cou...

    http://www.qobuz.com/info/MAGAZINE-ACTUALITES/NOMINATIONS-ET-PRIX/Jean-Guillou-refuse-la-Legion-d46353

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  2. Bonjour Bruno,
    J'ai failli réagir hier avant de partir pour les cours au Conservatoire au sein duquel je suis enseignant (PEA - il vous faudra décrypter ce sigle typique d'une certaine catégorie d'artistes enseignants dans les Conservatoires, dont je fais partie) mais le temps et la réflexion afin d'être précis et non polémique me manquaient, aussi j'ai remis ... à plus tard.
    J'aimerais, si cela ne vous ennuie pas pousser le débat bien plus loin, car votre article fait un constat réel, loin de moi l'idée de le contrecarrer, mais il est des avancées, des nouveaux dispositifs qu'il vous faut cependant prendre en compte...
    Je vous propose donc, car le simple commentaire ne suffit ici à approfondir de pouvoir m'autoriser un "droit de réponse" via ma boite mail (pgeorges.little@gmail.com), car, vous le savez je fais surement partie des "renégats" que vous citez de façon schématique, puisque j'enseigne ces musiques dites actuelles au sein d'un Conservatoire - pire, je vais bientôt les représenter au sein de la prestigieuse école de musique Rostropovitch à Saint Petersbourg.
    Si je prends ce temps c'est parce que j'apprécie et lis avec respect votre blog, vos articles et votre engagement pour, effectivement : la musique.
    Mais, en tant qu'enseignant issu d'un parcours des plus classiques (ancien élève de la maîtrise de l'ORTF, Élève et "disciple" de Pierre Doury, d'Alain Neveu, de Paul Guigue... des noms qui ne vous sont pas inconnus), croyez bien que si j'ai fait le choix d'enseigner les musiques actuelles ce n'est pas par démagogie comme votre article semble généraliser ce fait.
    C'est par choix volontaire et déterminé et surtout responsable, car il faut justement en tête de ces enseignements des personnes responsables ayant de réelles perspectives d'enseignement afin de ne pas sombrer effectivement dans la démagogie. Sans prétention, mais juste en conscience professionnelle : j'en suis et l'assume au quotidien.
    Le débat sur la fête de la musique (j'en ai vécu une, en tant que spectateur, dans mon village, hier soir des plus déplorables et réelle caricature "en pire" de votre article) est autre.
    Personnellement, je n'y participe qu'avec mes élèves et sous demande d'un service spécifique inhérent à ma fonction et dans la mesure où leur travail, même relayé par des amplis est respecté comme de la musique et non comme de l'amateurisme.
    Si, d'aventure on me demande de jouer en tant qu'artiste, les conditions de ma prestation sont toute aussi drastiques et forcément rémunérées, mon argument étant le suivant, "organisons une fête des plombiers, ainsi, chacun pourra bénéficier d'une intervention gratuite de cette catégorie d'artisans overbookés"...

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  3. Je poursuis...
    Pour moi, depuis son "invention" cette fête supercherie de socialisme démagogique je l'ai vue en peu d'années se transformer en ce que j'appelle "fête des bistrots" trop contents de faire le plein avec devant leurs terrasses un barda d'amateurs effectivement absolument "non avertis" dont le bruit attire les badauds en manque d'ivresse alcoolisée plus que de musique en tant qu'art.
    Merci Mr Lang d'avoir réussi le coup démago que de mettre le karaoké au même niveau que l'ONJ ou l'Orchestre National, eux, obligés par devoir de service public de participer à cette mascarade.
    Hier soir j'ai assisté à cela, en pire. D'un coté l'école de musique du village isolée (punie ?) sur une placette, proposant un programme somme de son travail annuel avec les élèves, sous la forme d'un concert ce, avec ses propres et petits moyens - à l'opposé :
    Groupe minables, sonos onéreuses et mal réglées, chanteuses hurleuses sur bandes son.
    Et je suis sorti de là dépité disant à mon épouse : "tu vois, le pire c'est si l'on n'est pas vigilants, et cela a déjà commencé, c'est nous profs et professionnels qui sommes (seront) au service de ces lamentables amateurs, car, c'est par nos cours qu'ils s'affichent sans aucune vergogne "artistes"... Devenir le "prestataire" de ce critère m'effraie"
    C'est pour éviter cela à tout prix, c'est pour que l'art ne soit pas bafoué, qu'il soit actuel ou contemporain, ou jazz ou classique, peu importe que je suis PEA et qu'au quotidien je travaille sans relâche, car dans ce métier le simple fait de relâcher implique d'emblée dix années de perspective de régression. Elles ont commencé il y a 30 ans et un peu plus lorsqu'un politique a cru bon d'inventer une fête qui n'a de nom que la musique mais qui n'en a en aucun cas: la substance.
    Respectueusement.
    Pascal GEORGES

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