jeudi 28 juin 2012

Une Finta Giardiniera de Mozart fort bien servie par la jeune troupe de l’Atelier d’art lyrique de l’Opéra de Paris


Bobigny, MC93, samedi 23 juin 2012 
 Marianne Crebassa (Ramiro), Cyrille Dubois (Belfiore), Andreea Soare (Sandrina), Ilona Krzywicka (Arminda)
Quatorze chanteurs de quatre promotions entrées entre octobre 2008 et octobre 2011, donc des plus aguerris aux plus novices, ont alterné fin juin sur la scène de la MC93 de Bobigny dans une production inédite d’un opéra de la première maturité de Mozart, la Finta Giardiniera (la Fausse Jardinière). Longtemps absent de la scène, cet ouvrage créé à Munich lors du Carnaval de 1775 est porteur des grands traits, tant musicaux que dramatiques, des chefs-d’œuvre qui naîtront au milieu des années 1780 de la collaboration du compositeur autrichien avec l’abbé Lorenzo da Ponte, le Nozze di Figaro, Don Giovanni et Così fan tutte. Composé sur un livret en italien attribué à Giuseppe Petrosellini, cette première version du huitième opéra de Mozart a longtemps été réputée perdue, seule ayant subsisté sa seconde forme réalisée en 1779 par Mozart pour Salzbourg sur un texte allemand sous le titre Die Gärtnerin aus Liebe (la Jardinière de l’amour), jusqu’à ce que l’original réapparaisse en 1978, date de la publication de la partition.
L’action de ce dramma giocoso composé par un Mozart de 19 ans est digne de Marivaux, avec quiproquos, jeux de l’amour et du hasard, commedia dell’arte, critique des mœurs du temps : le comte Belfiore aime la marquise Violante Onesti. Mais au cours d’une dispute, l’amant blesse sa maîtresse. Convaincu de l’avoir tuée, il s’enfuit. Un bosquet dans le Sud, le gazouillis des oiseaux, les stridulations des cigales… Dans ce coin de nature éternelle, les routes de Sandrina et de Belfiore se croisent de nouveau. La belle marquise, qui a réchappé au coup de poignard et demeure follement amoureuse du comte, prend les atours d’une roturière sous les traits de la jardinière Sandrina au service du podestat Don Anchise, espérant reconquérir ainsi le cœur de son amant. Mais ce dernier a porté son dévolu sur la jolie Arminda, au désespoir de Ramiro (confié à une mezzo-soprano, ce rôle annonce le Chérubin des Noces de Figaro), qui en est passionnément épris. Tout en préparant les fiançailles de sa nièce avec le comte, le podestat fait la cour à sa jardinière tandis que son valet, Nardo, a des vues sur la servante Serpetta, qui préfèrerait quant à elle épouser le podestat…  S’ensuit, à l’instar du futur Così fan tutte, un chassé-croisé de couples qui se font et se défont, jusqu’à ce que le comte et la marquise se retrouvent et en perdent la raison. Mais dénouement attendu se réalise, avec l’union de Belfiore et Violante, Arminda et Ramiro, Serpetta et Nardo. Seul le Podestat reste seul, mais il accepte son sort avec philosophie, espérant lui aussi rencontrer un jour sa jolie Jardinière… 
 Cyrille Dubois (Belfiore), Andreea Sorare (Sandrina)
Pour son spectacle rituel de fin d’année, l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris a choisi cette feinte jardinière dont les protagonistes, ceux qui cultivent le jardin et ceux qui en jouissent, vivent une folle journée qui s’enchaîne à une nuit initiatique. Le jardin civilisé devient alors un espace sauvage où la nature débridée ravive le désir et la sensualité et déchaîne les passions. Le metteur en scène Stephen Taylor, qui montre au cours de l’ouverture la dispute des amants et le meurtre de la jeune femme qui hante les personnages trois heures durant, donne de cette initiation sentimentale une lecture tendue et souvent voluptueuse, mais la direction d’acteur n’est pas toujours efficiente, certains protagonistes restant en deçà du potentiel dramatique de leurs personnages, comme tétanisés par l’enjeu du spectacle.

C’est particulièrement le cas de la soprano chypriote Zoé Nicolaidou, Serpetta trop timorée mais séduisante, et du ténor caenais Cyrille Dubois, Belfiore un peu raide mais à la musicalité prometteuse. A l’instar de la belle mezzo-soprano montpelliéraine Marianne Crebassa, qui a largement dépassé le stade d’apprentie et qui campe un Ramiro chagrin mais charme de Cherubino, la soprano roumaine Andreea Soare, voix mobile et charnelle, a déjà les atouts d’une Comtesse des Noces de Figaro, tandis que le baryton bordelais Florian Sempey fait du valet Nardo un Figaro en puissance, et la soprano polonaise Ilona Krzywicka une Arminda bouillonnante. Si la voix manque de volume, le ténor toulousain Kévin Amiel brosse un podestat énergique et malicieux. Comme les chanteurs de l’Atelier lyrique, les musiciens de l’orchestre-atelier OstinatO s’imposent par leur discipline et leur enthousiasme, au point que l’on en oublie la légère acidité des cordes, particulièrement du côté des violons. Tous les protagonistes ont répondu avec zèle à la direction convaincue du chef suisse Guillaume Tourniaire, qui a pour particularité de tenir la baguette de la main gauche.
Bruno Serrou
Photos : Opéra National de Paris

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