lundi 10 septembre 2012

Belle reprise en ouverture de saison du Capriccio de Strauss à l'Opéra Garnier dans la mise en scène de Robert Carsen


Paris, Opéra de Paris Garnier, samedi 8 septembre 2012

Photo : Opéra de Paris. DR


La seconde reprise de la production créée en juin 2004 de Robert Carsen du Capriccio de Richard Strauss (1) cinq ans après celle de septembre 2007 sous la direction de Hartmut Haenschen avec Solveig Kringelborn dans le rôle de la comtesse Madeleine, confirme l’exceptionnelle qualité de ce spectacle qu’avait offert Hugues Gall en guise de cadeau d’adieu au public de l’Opéra de Paris au terme de son mandat de directeur. Cette œuvre majeure du répertoire lyrique est aussi l’une des plus élitistes et intellectuelles jamais conçues par un compositeur. 

Conversation en musique débattant de la primauté de la parole ou de la musique, donc dénuée a priori de toute action dramatique, Capriccio est un plaisir de gourmets épris d’art, de littérature, d’histoire et d’humanisme alors-même qu’il a été conçu dans les années les plus barbares et tragiques de l’histoire, la Seconde Guerre mondiale. Retiré à Garmisch-Partenkirschen, Strauss composa cet ouvrage sur un livret qu’il signa lui-même avec le chef d’orchestre autrichien Clemens Krauss sur un canevas de Stefan Zweig, qui se suicida l’année même où le compositeur posait le point final de sa partition. Cette œuvre qui chante le Siècle des Lumières, l’action se plaçant dans un château huppé de la région parisienne, est donc totalement décalée avec son temps, non seulement en regard des circonstances de sa genèse mais aussi aujourd’hui, où les références au passé et les grands débats artistiques ne sont plus guère en faveur. Dans cet opéra qui s’interroge sur la nature-même de l’art lyrique et dont l’un des personnages principaux est un directeur de théâtre qui prononce un éblouissant plaidoyer sur son métier, Strauss emprunte à sa propre création, de Guntram à Daphné, renvoyant à sa propre querelle avec son librettiste Joseph Gregor qui lui avait offert un finale impossible avec la métamorphose de l’héroïne grecque en laurier, ainsi que des rappels insistants à Ariane à Naxos et surtout au Chevalier à la rose et à ses personnages hauts en couleurs, incarnés dans Capriccio par le couple de chanteurs italiens, le souffleur Monsieur Taupe et les serviteurs. Mais le pastiche atteint les sommets de l’art dès le sublime sextuor à cordes introductif puis dans le trio pour clavecin violon et violoncelle, salut au baroque flamboyant, plus authentique que nature.

Photo : Opéra de Paris. DR


Robert Carsen a adopté le parti de transposer l’action à l’époque de la genèse de Capriccio, dans une France occupée par les nazis, ce qui accentue le décalage de l’ouvrage avec le contexte historique de sa conception. Le metteur en scène canadien place ses personnages sur la scène d’un petit théâtre que contemple la comtesse depuis la salle, le temps de l’exécution du sextuor à cordes de l’ouverture. La direction d’acteurs, éblouissante, est un festival d’humour et de tendre nostalgie, Carsen jouant finement des ambiguïtés et des artifices du théâtre, l’apogée étant atteint dans les ultimes mesures de la sublime scène finale : le décor s’évapore dans les cintres dévoilant l’immense plateau nu de Garnier, tandis que des techniciens accompagnent la comtesse vers la coulisse, et qu’au fond de la scène, sur la barre du foyer de danse, s’exerce une ballerine.

La distribution est toujours vaillante, avec un sextuor de protagonistes principaux bien équilibrée. Sans atteindre la puissance pénétrante d’une Felicity Lott dans la compréhension de la portée du texte et des intentions du compositeur, Michaela Kaune, qui succède à Renée Fleming et SOLVEIG Kringelborn, s’impose dans le rôle de la Comtesse par la rayonnante beauté de son timbre, la plastique de sa ligne de chant, sa prestance scénique. La soprano allemande sait séduire avec naturel et se fond avec talent dans le jeu  de ses partenaires d’une distribution entièrement renouvelée qu’elle n’écrase à aucun moment, pas même les plus petits rôles, comme les neuf serviteurs et un Monsieur Taupe de luxe incarné par le ténor britannique Ryland Davies. Le baryton danois Bo Skovhus, comte d’une spontanéité joviale et dégagée, est le maillon le plus fragile de cette reprise. En revanche, Joseph Kaiser et Adrian Eröd sont attestent d’une belle complémentarité en compositeur et en poète. Michaela Schuster est une Clairon femme fatale particulièrement bien dans sa peau, et la voix est consistante et ferme. Peter Rose est La Roche éclatant, et sa glorification du théâtre et du métier de directeur est d’une poignante vérité.

A la tête d’un Orchestre de l’Opéra de Paris en forme (le solo de cor introduisant la scène finale est d’une beauté prodigieuse sous les lèvres de Vladimir Dubois), Philippe Jordan dirige de façon inégale cette partition délicate et pleine de sève, s’avérant souvent dramatique mais peu sensuel et rarement nostalgique.

Bruno Serrou

1) La captation de la production en juin 2004 est disponible en DVD : TDK DVWW-OPCAPR

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