vendredi 14 septembre 2012

L’Orchestre de Paris et Paavo Järvi avaient convié son chœur, la soprano Mireille Delunsch et le pianiste star Lang Lang pour l’ouverture de sa saison 2012-2013 Salle Pleyel

Paris, Salle Pleyel, jeudi 13 septembre 2012


Photo : (c) Orchestre de Paris

A l’instar du Saint Louis Symphony qui, vendredi dernier à Pleyel, consacrait une partie de son concert aux compositeurs états-uniens ayant séjourné à Paris, et en prologue à sa propre thématique franco-russe, l’Orchestre de Paris a présenté dans cette même salle en cette ouverture de saison un programme « parisien » réunissant cette fois non pas des Américains mais des Russes ayant travaillé en France qui ont été mis en regard de pages de Francis Poulenc, qui les côtoya. Paavo Järvi a en outre convié le chœur de son orchestre à se joindre aux festivités, lui confiant deux pages d’inspiration religieuse du compositeur français. 

C’est d’ailleurs avec ces dernières que s’est ouverte la soirée. La première des deux œuvres a réuni cordes, timbales et les seules voix de femmes du Chœur de l’Orchestre de Paris, puisqu’il s’agissait des Litanies à la Vierge Noire que Poulenc a composées en 1936 à l’origine pour chœur de femmes et orgue. Il s’agit de la première partition du compositeur d’inspiration religieuse. A l’exemple de Paul Claudel qui eut « la Révélation » au pied d’un pilier de la cathédrale Notre-Dame de Paris, Poulenc la reçut durant une visite de Rocamadour qui avait suivi la nouvelle de la mort de son confrère Pierre-Octave Ferroud. Quelques heures après qu’il eût quitté la chapelle flanquée en partie dans la roche qui abrite la statue miraculeuse de la Vierge sculptée selon la tradition dans du bois noir par saint Amadour, Poulenc commençait ses litanies, qui ouvraient une série de partitions qui allaient constituer la part la plus significative de sa création, avec le Gloria entendu la saison dernière, l’opéra Dialogues des carmélites, la Messe, les Petits motets du temps de la Pénitence, les Quatre petites prières de saint François d’Assise, les Sept répons des ténèbres, le Salve Regina, les Laudes à saint Antoine de Padoue, Figure humaine, les Quatre motets pour le temps de Noël et le Stabat Mater. C’est cette dernière œuvre, extraordinairement concentrée et puissante, inspirée elle aussi par la Vierge noire de Rocamadour et écrite à la mémoire du peintre-scénographe Christian Bérard (1902-1949), qui concluait la première partie du concert. Composée en 1950 et créée le 13 juin 1951 au Festival de Strasbourg, cette partition est l’une des œuvres religieuses majeures du XXe siècle, associant l’humilité de la prière, voire la nudité des pages spirituelles a capella de Poulenc à la puissance dramatique d’un requiem, genre auquel Poulenc se disait réfractaire, avec les forces telluriques du grand orchestre et la présence d’une soprano solo et d’un grand chœur mixte.

Dans les Litanies, le chœur de femmes s’est fait homogène et le fondu des voix parfait, timbres étincelant et frais en intonation, bien qu’un peu tendu et asphyxiés par l’ardeur de la direction de Järvi. Dans le Stabat Mater, la belle musicalité et l’intelligence du texte de Mireille Delunsch, qui remplaçait Patricia Petibon au pied levé, ont souligné la dimension spirituelle de cette œuvre brûlante, la voix sortant sans forcer d’un chœur et d’un orchestre parfois saturés, les couleurs de la soprano soliste s’ajustant parfaitement aux couleurs de l’orchestre.

Photo : (c) Orchestre de Paris

Le Concerto n° 3 en ut majeur op. 26 de Serge Prokofiev qui ouvrait la seconde partie du concert est l’une des partitions pour piano et orchestre les plus brillantes du répertoire. Il est aussi la plus jouée des cinq pièces du genre que le compositeur russe consacra à son instrument. Esquissé en 1913, achevé en Bretagne en 1921, il a été créé avec un vif succès à Chicago en décembre de la même année par le compositeur en soliste et l’Orchestre Symphonique de Chicago dirigé par Frederick Stock. L’œuvre est d’une virtuosité extrême et demande au soliste des doigts d’acier dans des gants de velours, tant les doigts doivent survoler le clavier tout en détachant toutes les notes, enchaîner les modulations d’intensité à la vitesse de l’éclair, lutter avec l’orchestre dans sa toute puissance, ménager des moment de lyrisme intense mais sans pathos, souligner la modernité tout en ne reniant pas le classicisme…  Exceptionnel de souplesse, de délicatesse, de vélocité, d’élan, de force fébrile, Lang Lang a excellé hier dans cette œuvre, se montrant à son meilleur, au point que je dois avouer ne l’avoir jamais entendu en pareille intelligence avec une partition. Au point de revoir mon sentiment à l’égard de ce pianiste chinois hyper-médiatisé qui est parvenu à une fusion piano/orchestre exemplaire, pour une interprétation, un jeu d’une perfection jamais atteinte dans aucun concerto sous ses doigts à Paris, tandis que l’entente avec le chef est apparue totale. Hélas, dès le bis, on a retrouvé le Lang Lang des pires moments, dans une valse de Chopin ni faite ni à faire, avec ses tics de jeu brouillon et ses divagations rythmiques et thématiques qui dénaturent le sens-même du mot « valse », la pièce de Chopin devenant méconnaissable.

Pour terminer la soirée, l’orchestre, seul avec son chef, a donné la suite de 1919 de l’Oiseau de feu d’Igor Stravinski. Dans ce morceau de bravoure, deuxième des trois suites que le compositeur a tirées du premier de ses trois grands ballets écrits pour le Ballets Russes et qui ne donne qu’une impression limitée de l’œuvre entière, non seulement parce qu’il manque toute la partie centrale de l’original mais aussi parce que l’orchestre est réduit pour des raisons d’ordre matériel, l’Orchestre de Paris s’est montré brillant et rutilant, emportant l’auditeur à l’euphorie dans le volet conclusif, tandis que l’introduction n’a pas été assez immatérielle et aérienne, l’interprétation gommant ce que cette partie doit à Debussy. Järvi a bissé le finale qu’il a interrompu à mi-parcours sans crier gare, devant une salle en délire…
Bruno Serrou 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire