lundi 25 mars 2013

Les tourments de Tannhäuser, causes du suicide de sainte Elisabeth



Strasbourg, Opéra de Strasbourg, dimanche 24 mars 2013

 Scott MacAllister (Tannhäuser), Béatrice Uria-Monzon (Vénus) (Acte I)

Donné à Strasbourg dès 1855, six ans avant le cuisant échec de l’Opera de Paris, Tannhäuser de Wagner est un peu chez lui, en Alsace. Ce qui a été avéré exact lorsque, après avoir traversé depuis la gare sous un froid hivernal la métropole régionale désertée par ses habitants en ce premier dimanche de printemps, je me suis retrouvé dans le hall de l’Opéra de Strasbourg au milieu d’une foule de tous âges compacte et endimanchée. Assister au sixième des opéras du compositeur saxon où il est question de pèlerinage à Rome, de péché et de rédemption, tandis qu’est évoqué le rameau régénérant avant la conclusion chorale sur deux Alléluia, un dimanche des Rameaux est en soit une idée séduisante. Si la première strasbourgeoise de Tannhäuser voilà cent cinquante huit ans fut donnée dans la version de Dresde, ville de la création de l’ouvrage en 1845, la nouvelle production proposée hier a choisi un mix de celle-ci et de celle de Paris (1861), fruit de nombreuses modifications résultant notamment de l’expérience de Tristan und Isolde, et de l’ajout de la bacchanale dansée ainsi que d’un chœur de transition avant le début de l’action-même. 

 
Barbara Haveman (Elisabeth) entourée des pèlerins (Acte III)
 
Le nouveau Tannhäuser présenté à Strasbourg vaut avant tout pour la direction au cordeau de Constantin Trinks. Geste vif, précis, le jeune chef allemand emporte la partition avec une énergie conquérante et une conviction communicative. Avec allant et élan, il exalte des couleurs étonnamment rondes et rutilantes, transcendant la sécheresse de la fosse, sachant se faire évocateur, poète, donnant à l’orchestre sa vie intérieure pour en faire un être polychrome, soutenant les chanteurs tout en donnant instrumentalement tout ce qui est sous-jacent dans le comportement des personnages et leurs pensées. Voilà sans doute un authentique chef wagnérien en puissance. Du coup, l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg gronde, éclate, chante, suggère, se fait idyllique, spirituel, méditatif, fervent. La phalange strasbourgeoise donne son maximum, au point que l’on oublie les sonorités rêches, certaines acidités, les sécheresses acoustiques de la fosse, certaines approximations (cors), un manque de cohésion. Ce qui n’est pas le cas du Chœur de l’Opéra du Rhin, homogène, puissant, carné.


Barbara Haveman (Elisabeth), Kristinn Sigmundsson (Landgrave Hermann), et le tournoi des Minnesänger (Acte II)
Au cœur d’une action se déroulant à l’époque de la genèse de l’œuvre, vers 1845, au milieu des étudiants de la Wartburg en tunique bleue, pantalons rouges et sabre au flanc, la mise en scène de Keith Warner n’a étonnamment soulevé aucune protestation, malgré nombre de points contestables, dus surtout à des incohérences. Dès la scène du Venusberg, qui se déroule dans une maison close, l’on est surpris par le jeu de canapés rouges roulant continuellement en tout sens, mus telles des brouettes - il est vrai que Saverne, capitale de cet outil, n’est qu’à un jet de pierre de Strasbourg. Une superbe image néanmoins attend le spectateur au début de la bacchanale, un tableau vivant de danseurs qui sortent peu à peu du cadre pour jouter avec les prostituées qui travaillent chez mère-Vénus. Le plateau est dominé par un praticable bordé de rambardes type far-ouest d’où un jeune garçon suit l’activité de la maison-close. Cet enfant dont on ne sait rien va hanter l’opéra entier - est-ce le fils que Tannhäuser aurait eu avec Vénus ? Est-ce Tannhäuser enfant contemplant son avenir ? Symbolise-t-il l’innocence ?... Ce même plateau se transforme au deuxième acte en salle de concours de chant avec scène et une quinzaine de rangs de chaises disposées de part et d’autre d’une allée centrale, puis un lieu indéterminé où les êtres sont comme perdus dans un désert informe ou un terrain-vague. Un aspirateur géant domine la scène. Il servira au deuxième acte à téléporter Tannhäuser à Rome comme Star-Trek, et, à l’acte III, à la rédemption de Tannhäuser qui en gravira quelques échelons avant qu’Elisabeth, pieds accrochés dans le vide par un filin descendant des cintres, ne l’emporte par la main dans l’Au-delà. Mais l’on se demande alors comment l’Eglise a-t-elle pu canoniser Elisabeth après l’avoir vue se suicider par pendaison, déçue de ne pas avoir trouvé Tannhäuser parmi les pèlerins revenant de Rome... La direction d’acteur est travaillée ad minima, et le traitement des masses est réduit à de la simple figuration, particulièrement les pèlerins qui passent, proprets, de jardin à cour à la fin du deuxième acte puis de cour à jardin et en guenilles au début du troisième. 

 Le tournoi des Minnesänger (Acte II)

Annoncé aphone par le directeur en début de représentation, Scott MacAllister a à la fois sauvé le spectacle et dénaturé, déstabilisant de toute évidence ses partenaires. La voix est apparemment celle du rôle, mais le ténor états-unien l’a alternativement poussée et retenue, l’étouffant même dans certains solos et marquant souvent les notes plutôt que de les chanter, voire s’effaçant totalement dans les ensembles. Au début de l’acte III on crut le spectacle définitivement terminé lorsque le directeur s’est présenté une seconde fois à l’avant-scène, micro à la main, pour déclarer que le médecin était venu et avait recommandé au ténor de ne pas poursuivre. Le théâtre aurait alors téléphoné à Karlsruhe où sa doublure se trouvait, mais celui-ci n’aurait pas décroché... Scott MacAllister a alors décidé de reprendre, mais le public était averti qu’il ne chanterait pas vraiment... Aussi, la surprise allait être grande lorsque l’on entendit Tannhäuser chanter son récit de Rome à pleine voix, comme si de rien n’était, en dépit de légères défaillances. Le ténor s’était-il réservé pour la fin, élégant, pour pouvoir remercier le public de sa patience ? A-t-il craint pour sa voix face à un rôle terriblement exigeant et trop lourd pour lui ?... Pourront le dire ceux qui assisteront aux prochaines représentations... 

 
Barbara Haveman (Elisabeth) et Scott MacAllister (Tannhäuser) (Acte III, final)

Quant au reste de la distribution, l’on a entendu Béatrice Uria-Monzon plus vaillante dans le rôle de Vénus que cet après-midi de dimanche, notamment à l’Opéra de Paris en décembre 2007. La mezzo-soprano française semblait engoncée dans sa grande robe rouge et dans la direction d’acteur, et la voix était moins colorée et constante que de coutume, comme si la cantatrice manquait d’assurance. Barbara Haveman est une Elisabeth touchante et décidée, séduisante et brûlante, mais la voix est trop pleine et trop mûre pour le personnage. Dans le rôle immanquable de Wolfram, Jochen Kupfer s’avère idoine, révélant un potentiel vocal et dramatique patent, même si son Wolfram paraît un peu vert, mais sa spontanéité et sa générosité naturelle convainquent, la voix est solide et le timbre plaisant. En vieux routier, Kristinn Sigmundsson campe un Landgrave vocalement impressionnant et noble de stature. Les quatre Minnesänger de la Wartburg (Gijs Van der Linden, Roger Padullés, Raimund Nolte et Ugo Hinderer) sont irréprochables.

Bruno Serrou

Photos : (c) A. Kaiser, Opéra du Rhin, 2013

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