samedi 10 août 2013

Christian Ivaldi, Philippe Muller et leurs élèves à La Roque d’Anthéron

XXXIIIe Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, Château de Florans, vendredi 9 août 2013

Marie-Josèphe Jude et Emmanuelle Bertrand. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot

Une fois n’est pas coutume, voué au piano, le festival de la Roque d’Anthéron a offert hier une place de choix au plus humain des instruments à cordes, le violoncelle. Sous l’intitulé « Nuit du piano : carte blanche à l’école française », le concert en trois parties a réuni seize des anciens élèves du pianiste Christian Ivaldi et du violoncelliste Philippe Muller au Conservatoire de Paris qui constituent l’une des « Ecoles » les plus célébrées dans le monde.
 
Philippe Muller et Edgar Moreau. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, , Christophe Grémiot

Quant au programme, à de rares exceptions près, il comptait peu de représentants de l’école française de composition, et surtout pas de contemporains. Comme de coutume à La Roque, la « Nuit du piano » se découpait en trois épisodes de plus d’une heure chacun séparés d’entractes suffisamment longs pour que le public puisse se restaurer et se rafraîchir, et les musiciens se poser et s’échauffer. Ce qui a conduit public et interprètes jusqu’à près d’une heure du matin, terme d’une soirée commencée à dix-neuf heures…
 
Frank Braley et Yan Levionnois. Photo (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot

Autre hiatus lorsqu’il s’agit de réunir dix-huit instrumentistes jouant du solo au quatuor, le « saucissonnage » des œuvres, ce qui n’est pas sans conséquences à l’encontre de la musique. Lorsqu’il s’agit de pièces secondaires, pas de problème, puisque cela permet souvent leur découverte à travers les passages les plus significatifs. Mais lorsque les chefs-d’œuvre sont touchés, réduits à un mouvement, voilà qui est fort contestable. Sans doute eut-il en ce cas été préférable de tenter de partager une œuvre entre plusieurs interprètes, qui un mouvement initial, qui un adagio, qui un finale d’une même partition…
 
Vincent Coq et Edgar Moreau. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot

Cette « Nuit » a donc davantage constitué un assemblage de morceaux de bravoure destiné au grand public qu’une grande soirée de musique. Apparemment décontenancé par la présence de neuf violoncellistes auxquels allait s’ajouter en Guest star Anne Gastinel, le public ne s’est pas bousculé à cette soirée pourtant bien agréable à la fraîcheur d’un petit mistral. Histoire de se mettre en bouche, les deux maîtres, Philippe Muller et Christian Ivaldi, ont ouvert les feux avec une pièce pour quasi-débutants, la Romance sans paroles pour violoncelle et orchestre en ré majeur op. 9 simple et aimable mais qui a révélé un Ivaldi étonnamment détaché, comme las. Ce qu’a confirmé un autre duo pour violoncelle et piano, cette fois de Beethoven, les Variations sur « Bei Männen, welche Liebe fühlen » de « la Flûte enchantée » WoO 46, où les deux musiciens semblaient comme indifférents. Plus convaincu et convainquant, le duo constitué de Jérôme Pernoo et Jonas Vitaud dans l’admirable Sonate n° 1 pour violoncelle et piano en ré majeur de Debussy heureusement donnée dans son intégralité dans laquelle le beau chant de Pernoo a pu s’épancher voluptueusement. Après une page anecdotique pompeusement intitulée Requiem du Tchèque David Popper (1843-1913) associant Ophélie Gaillard, Yan Levionnois, Jérôme Pernoo et Jonas Vitaud, Raphaël Pidoux, chaleureux, et Emmanuel Strosser, à l’écoute de son partenaire, ont donné le seul Allegro con spirito de la pourtant remarquable Sonate pour violoncelle et piano de Zoltan Kodaly, suscitant ainsi une première frustration de la soirée. Pour conclure cette première partie, Emmanuel Strosser, excellent dans ses élans suscitant des sonorités pleines et liquides, et Christian Ivaldi, plus distancié, ont exécuté le troisième mouvement de la Faust-Symphonie, Méphistophélès, de Franz Liszt dans une version pour deux pianos de la main du compositeur.
 
Frank Braley et Henri Demarquette. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot

La deuxième partie de la « Nuit » s’est ouverte sur la Sonate n° 5 pour violoncelle e piano en ré majeur op. 102/2 de Beethoven interprétée par deux musiciens à l’entente parfaite, Xavier Philips à son meilleur chantant de concert avec un excellent beethovenien, François-Frédéric Guy, autant à l’écoute de son partenaire que conduisant le dialogue avec tact et sensibilité. Déception en revanche avec de froides et roides Phatasiestücke pour violoncelle et piano op. 73 de Schumann jouées sans engagement par Ophélie Gaillard, dont la gestique exagérée et les mimiques ampoulées vont à l’encontre de son interprétation, qui vont à l’encontre de la musique, tandis que Claire-Marie Le Guay n’a pu que rester à l’extérieur de ce que faisait sa comparse. Après la « scie » qu’est Le Cygne du Carnaval des animaux de Saint-Saëns joué par le jeune Edgar Moreau, au vibrato excessif, François-Frédéric Guy se joignait à Christian Ivaldi, plus concerné que dans les pièces précédentes, pour l’Introduction et Rondo alla Burlesca pour deux pianos op. 23/1 de Britten, avant de laisser la place à Raphaël Pidoux, Xavier Philips, Henri Demarquette et Emmanuelle Bertrand dans un Quatuor pour quatre violoncelles n° 5 en ré majeur de Jean-Baptiste Bréval (1753-1823) peu inspiré, si ce n’est par le modèle du quatuor à cordes transposé au seul violoncelle.
 
Anne Gastinel et, de gauche à droite, Vincent Coq, Emmanuel Strosser, Jonas Vitaud et Marie-Josèphe Jude. Photo : (c) Festival de La Roque d'Anthéron, Christophe Grémiot

Mais la plus grande frustration s’est avérée dans la troisième partie. Cela dès le début, avec le remarquable duo constitué par Emmanuelle Bertrand et Marie-Josèphe Jude, qui ont donné de l’Allegro initial de la Sonate n° 1 pour violoncelle et piano en mi mineur op. 38 de Brahms une interprétation poétique et sensible, avant de s’interrompre prestement pour laisser place à la seconde « scie » de la soirée, la fameuse Elégie pour violoncelle et piano op. 24 de Fauré, confiée à Edgar Moreau et Vincent Coq, le premier resserrant son large vibrato mais sans le contenir vraiment, le second confortant son talent de chambriste. Edgar Moreau était rejoint par Philippe Muller dont on a pu distinguer un léger sourire, ce qui est fort rare chez ce musicien, lorsque son élève récupéra prestement la partition du maître emportée par le vent dans le Duo pour deux violoncelles en mi majeur op. 54 d’Offenbach réduit aux seuls deuxième et troisième mouvements. Frustrante encore, l’exécution limitée au premier Allegro de la Sonate pour arpeggione D. 821 de Schubert, qu’Henri Demarquette a jouée avec son engagement coutumier, mais en restant au dehors de l’œuvre, tandis que Frank Bradley lui donnait une réplique plus carnée que la sienne. Braley que l’on retrouvait au meilleur au côté de l’excellent Yan Levionnois dans la belle Sonate pour violoncelle et piano en ut majeur op. 65 que Britten composa en 1961 pour le duo qu’il constituait avec son ami Mstislav Rostropovitch. Dommage que le festival provençal, qui célébrait ainsi le centenaire de la naissance du compositeur britannique, n’ait porté son dévolu que sur les premier, quatrième et cinquième mouvements. Pour conclure, quatre piano ont été alignés en quinconce les uns à côté des autres pour Marie-Josèphe Jude, Vincent Coq, Emmanuel Strosser et Jonas Vitaud qui ont conclu de façon festive ce long concert avec le Concerto pour quatre claviers en la mineur BWV 1065 de Bach. Mais, avant cette œuvre ultime, Anne Gastinel est apparue pour jouer une trop courte page de Sonate pour violoncelle seul du Cantor.

Bruno Serrou

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