mardi 15 octobre 2013

Une Aida toute en or suscite un scandale outrancier à l’Opéra de Paris

Paris, Opéra-Bastille, jeudi 10 octobre 2013


A l’instar du Ring de Richard Wagner, Aida de Giuseppe Verdi n’était pas apparu de longue date à l’affiche de l’Opéra de Paris. La dernière production remonte en effet à 1968, avec rien moins que Leontyne Price dans le rôle-titre… Toujours à l’instar du Ring, cette Aida dont la première a eu lieu le soir-même du bicentenaire de son auteur, aura globalement déçu. A l’exception de Marcelo Alvarez, voix féline, supérieurement chantant, phrasé limpide et timbre lumineux loin néanmoins de l’airain inoubliable d’un Jon Vickers mais rayonnant dans le rôle de Radamès, le reste de la distribution explique amplement ce pourquoi cette œuvre est depuis si longtemps absente au répertoire de l’Opéra de Paris : la pénurie de voix à la fois robustes et malléables aptes à surmonter les exigences en puissance et en retenue de l’antépénultième ouvrage scénique de Verdi.

Il n’en demeure pas moins que quarante-cinq ans d’absence sur la scène de l’Opéra de Paris est un délai de carence singulier pour l’un des ouvrages les plus populaires du répertoire lyrique. Le premier théâtre d’opéra de France aura ainsi trop laissé les coudées franches aux lieux démesurés en regard de cette œuvre intimiste que sont Palais des Sports et autre Stade de France qui ont certes fait le plein mais au prix d’irréparables détournements dans l’univers du colossal d’un opéra où seule la scène du triomphe  du deuxième acte appelle le grand spectacle façon barnum.  

Giuseppe Verdi (1813-1901), Aida. Production Armin Jordan / Olivier Py. Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Ce qu’a su intelligemment éviter Olivier Py, qui signe sa deuxième production de ce début de saison à l’Opéra de Paris, quasi simultanément à l’Alceste de Gluck. Py y a mis tous ses démons et n’y a vu que nationalisme criminel et obscurantisme religieux, de préférence le catholicisme belliqueux du Risorgimento puisqu'il a transposé l’action dans la Rome du XIXe siècle, époque de la genèse d’Aida, au moment où la cité pontificale est sur le point de perdre son autonomie victime de la réunification de l’Italie, évitant ainsi tout problème avec l'extrémisme religieux dans l’Egypte actuelle s’il eût opté pour le XXIe siècle... Sur le plateau tournant, un bâtiment aux reflets d’or polymorphe dont Weitz a le secret et qui, sous l’effet des puissants éclairages de Bertrand Killy, éblouit régulièrement le spectateur, tour à tour palais lustré par des esclaves, cathédrale, champ de ruines, arc de triomphe dont les combles servent de charnier et de tombeau. Utilisant toutes les capacités techniques de la scène de Bastille, il dénonce l’amour sacré de la patrie qui n’a fait que broyer l’humanité dans un fatras d’où surgissent un char d’assaut type Renault de la Première Guerre mondiale doré à l’or, des soldats en treillis et des ecclésiastiques en habits sacerdotaux qui exacerbent la haine de l’étranger, Py élevant Ramfis au rang d’archevêque. Comme s’il craignait de ne pas être compris, Py en rajoute au point de sombrer dans la redondance. Des images de grande beauté restent cependant gravées à l’esprit, celle d’une ballerine dansant seule sur le plateau nu au-dessus d’un charnier la scène du ballet au moment du triomphe devant un arc de triomphe symbolisant le triomphe de l’Autriche catholique sur la populace indépendantiste italienne promptement astiqué par des prisonniers, et la croix incandescente au moment du procès de Radamès. Curieusement, le directeur d’acteur ne semble guère inspiré, peut-être en raison-même des chanteurs, qu’il n’a pas dû estimer capables d’entrer véritablement dans leurs rôles, engoncés dans leur priorité à répondre du mieux possible aux contraintes de l’écriture exigeante de Verdi. Ainsi, les scènes d’intimité, plus nombreuses que celles à grand spectacle, s’étirent-elles plus ou moins en longueur.

Giuseppe Verdi (1813-1901), Aida. Oksana Dyka (Aida), Sergey Murzaev (Amonasro). Photo : (c) Opéra national de Paris, DR

Car la distribution dès l’abord pose de réels problèmes, à l’exception, on l’a dit, de Marcelo Alvarez, dont la remarquable prestation en Radamès est hélas ternie dans le finale par une Aida hurlante. Oksana Dyka possède certes la voix puissante et large requise par le rôle-titre, mais le timbre est agressif, la ligne de chant incertaine et le nuancier étroit. Luciana D’Intino force la voix au risque de poitriner malgré une ligne d’une belle stabilité mais n’émeut guère en Amnéris. Sergey Murzaev est un Amonasro frustre et raide. Seul Roberto Scandiuzzi impressionne en Ramfis de sa voix de basse altière et ronde.

Tout compte fait, cette Aida repose entièrement sur les épaules de Philippe Jordan et sur les somptueuses sonorités de l’Orchestre de l’Opéra de Paris. La direction du chef suisse est d’une précision et d’un onirisme conquérant. Il tire de son orchestre un modelé étincelant lustré au cordeau, exalté par des tensions dramatiques allant crescendo jusque dans le duo final, d’une tendresse et d’une poésie extraordinaire. Seul problème dans l’écoute de cette belle réalisation orchestrale, les fanfares de la scène du triomphe à l’arrière-plan résonnant depuis le fond du plateau à travers des haut-parleurs qui dérangent l’écoute et nuisent à l’efficacité sonore de ce passage trop souvent dénaturé dans les Aida de plein-air. Le Chœur de l’Opéra est lui aussi parfaitement en place, même lorsqu’il est chargé de porter des pancartes aux slogans puérils au milieu d’amples mouvements de foule.

Tout cela ne peut excuser ni expliquer le chahut pour le moins excessif qui aura ponctué le déroulement de la première représentation de ce spectacle certes inabouti mais empli de bonnes intentions, aux images parfois superbes et d’une musicalité souvent ensorcelante.

Bruno Serrou


1 commentaire:

  1. Bonjour ! Il est possible d'expliquer la colère, si ! En plus du décors insupportable, de la mise en scène inexistante et des lubies de Py (les militaires aux torses nus épilés et sa haine de l'église), je me dis que cet imbécile aurait au moins pu lire le livret. Mais stop ! à trop incendier les metteurs en scène, ceux-ci finissent par devenir des "stars" (Py ne vaut pas mieux que Chéreau !)

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