mardi 12 novembre 2013

Ingo Metzmacher et Dieter Dorn donnent à Genève un "Die Walküre" fluide et aéré, après un "Rheingold" onirique

Genève, Grand Théâtre, jeudi 7 novembre 2013

Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre. Tom Fox (Wotan)

Huit mois après le prologue (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/03/avec-un-das-rheingold-onirique-ingo.html), le Grand Théâtre de Genève présente ce mois de novembre la première journée du Ring de Richard Wagner, Die Walküre dans la production inédite de l’équipe allemande constituée autour du chef Ingo Metzmacher et du metteur en scène Dieter Dorn. A l’instar de l’Or du Rhin, la Walkyrie débute avant même que l’ouvrage ne commence, avec les Nornes qui s’obstinent encore à dévider le fil de la destinée tandis que les destriers des Walkyries articulés telles des marionnettes circulent sur le plateau et que Wotan hante l’espace, occupé en son centre par un énorme frêne au tronc et aux branches aux formes fantomatiques d’un dragon où est planté Nothung. Un espace qui se resserre tandis que les jumeaux Wälsung se rejoignent dans la tanière de Hunding du premier acte. 

 Richard Wagner (1813-1883). Die Walküre, Acte I. Michaela Kaune (Sieglinde), Will Hartmann (Siegmund).

Tournant le dos à l’esprit commedia dell’arte qui gouverne l’Or du Rhin, la scénographie de la Walkyrie de Jürgen Rose, qui puise toujours son inspiration dans l’Orient, est plus inspirée et éloquente que celle du prologue, avec un deuxième acte au parterre en demi-cercle aux dalles sombres rappelant les caisses de bois encastrées les unes dans les autres où s’égayaient les Filles du Rhin et symbolisant autant l’intérieur du Walhalla que la forêt, tandis qu’un jeu de miroirs éclatés jonchant le sol s’ouvre sous les pas de Wotan, ce qui s’avère du plus bel effet. Le troisième acte se déploie en un lieu désert au centre duquel est planté le rocher des Walkyries, qui, toutes masquées, transportent des cadavres de héros en latex écarlate. Un rocher, qui sera magnifiquement entouré d’un rideau disposé en arc dont la mobilité anime les flammes alors que Wotan intime à Loge l’ordre de veiller sur la destinée de Brünnhilde. De belles images donc au service d’une direction d’acteurs au cordeau qui donnent à cette Walkyrie une réelle probité de lecture non dépourvue d’émotion. 

 Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre, Acte II. Günther Groissböck (Hunding), Tom Fox (Wotan), Will Hartmann (Siegmund)

La vision d’Ingo Metzmacher, fluide et aérée, est en parfaite adéquation avec celle de Dieter Dorn. Evitant soigneusement la grandiloquence et la pompe, le chef allemand donne à la partition le tour d’une immense page de musique de chambre dans l’esprit d’Herbert von Karajan (1), alors qu’il est loin de bénéficier d’un orchestre aussi somptueux que celui de son aîné, tandis que la dynamique générale, alerte et ardente, est celle d’un Clemens Krauss (2). Ce qui a pour corolaire de mettre à nu les défaillances des pupitres des vents de l’Orchestre de la Suisse romande, plus particulièrement des cuivres dont la prestation s’avère toujours plus perturbante, l’oreille du spectateur se faisant de plus en plus en alerte dans l’attente continuelle d’une faute d’attaque de cor, de trompette ou de trombone (quant au tuba, il est plutôt envahissant) - on se souvient pourtant que Marek Janowski, chef wagnérien de tradition germanique, a été le patron de cette phalange. 

 Richard Wagner (1813-1883), Die Walküre, Acte III. Tom Fox (Wotan), Petra Lang (Brünnhilde)

L’option musique de chambre est des mieux venue car, sur le plateau, les grandes voix ne font guère florès, à l’exception d’Elena Zhidkova, Fricka virulente, et, surtout, Günther Groissböck, Hunding impressionnant. Tom Fox, qui avait eu le mérite de sauver l’Or du Rhin en mars dernier en remplacement de Thomas Johannes Meyer au pied levé, fatigue vite en Wotan, au point de ne plus contrôler les écarts de sa voix et de perdre carrément ses aigus dans la scène des adieux, brisant du même coup l’émoi que suscite généralement ce sublime moment du Ring. Face au Siegmund vocalement ténu de Will Hartmann, la Sieglinde lumineuse et toute en délicatesse de Michaela Kaune est d’une densité et d’une ferveur captivante, ce qui fait de ce personnage un être de chair et de sang, ainsi que la Brünnhilde de Petra Lang, au timbre et à la voix hélas désunis. Les huit Walkyries (Katja Levin, Marion Amann, Lucie Roche, Ahlima Mhamdi, Rena Harms, Stephanie Lauricella, Suzanne Hendrix, Laura Nykänen) sont irréprochables. Malgré ses défauts, cette Walkyrie passionne et suscite l’impatience dans notre attente des deux derniers volets de la Tétralogie (3)… 

Bruno Serrou

1) Studio 1966-1970, 14CD DG 4577802
2) Bayreuth 1953, 15CD Foyer 2007-2010 
3) Siegfried, 30/01-8/02, le Crépuscule des dieux, 24/04-2/02, Ring complet, 13-18/05 et 20-25/05, http://www.geneveopera.ch


Photos : (c) GTG Carole Parodi / Grand Théâtre de Genève

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