mercredi 5 février 2014

"La Fanciulla del West" de Puccini déchaîne les passions pour son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris

Paris, Opéra-Bastille, samedi 1er février 2014

Giacomo Puccini (1858-1924), la Fanciulla del West. Acte III. Nina Stemme (Minnie), Claudio Sgura (Jack Rance). Photo : (c) Opéra national de Paris, Charles Duprat, DR

Il aura fallu 96 ans pour que l’Opéra national de Paris programme la Fanciulla del West (la Fille du Far West) de Giacomo Puccini. Le compositeur italien est pourtant l’un des piliers du répertoire de la « Grande Boutique », comme l’appelait Verdi. Créé le 10 décembre 1910 au Metropolitan Opera de New York, qui passait pour l’occasion sa première commande, sous la direction d’Arturo Toscanini avec rien moins qu’Emmy Destinn et Enrico Caruso dans les rôles principaux, avait fait l’objet d’une seule représentation à l’Opéra Garnier en 1912 dans le cadre d’une tournée de l’Opéra de Monte-Carlo, tandis que l’Opéra Comique le présentait cinquante-sept ans plus tard.

Giacomo Puccini (1858-1924), la Fanciulla del West. Acte I. Nina Stemme (Minnie). Photo : DR

Son absence de l’affiche des théâtres lyriques parisiens et le désintérêt du public français peut étonner si l’on considère le succès jamais démenti des ouvrages de Puccini qui l’entourent, Madama Butterfly (1904-1906) et Il trittico (1918), également conçu pour le Metropolitan Opera, et à peine plus que La rondine (1917). Cela peut néanmoins s’expliquer par son livret, qui a pour cadre le Far-Ouest et dont la teneur est d’une naïveté annonçant les westerns spaghetti des années soixante-dix qui se conclut en happy end, les rôles féminins réduits au personnage central, qui n’intervient qu’après une vingtaine de minutes de spectacle, et à un autre infiniment plus épisodique, et la présence des seuls chœurs d’hommes, la rareté des airs solistes, les allusions au folklore américain et l’audace de la partition ont longtemps détourné le public de la Fanciulla del West. Sa richesse orchestrale et harmonique, sa complexité rythmique sont pourtant sans équivalents dans l’œuvre de Puccini et dans l’histoire de l’opéra italien. Un seul air a gagné une certaine notoriété, Ch’ella mi creda, qui appartient au répertoire courant des ténors. L’intrigue se situe à l’époque de la ruée vers l’or, en Californie. Minnie tenancière de saloon, s’éprend d’un bandit qu’elle sauve avant qu’il soit lynché par les mineurs qui l’accusent de vol. Mais cette fois encore, la jeune femme survient et l’entraîne vers une vie meilleure dans un autre Etat.

Giacomo Puccini (1858-1924), la Fanciulla del West. Acte I. Photo : DR

Présenté comme nouvelle production, le spectacle vient en fait de l’Opéra d’Amsterdam où il a été créé en 2009, et a même fait l’objet d’une publication DVD. La mise en scène de Nikolaus Lehnhoff, celui-là même qui, ex-assistant de Wieland Wagner à Bayreuth, introduisit la Femme sans Ombre de Richard Strauss à l’Opéra de Paris en 1972 sous la direction de Karl Böhm avec Leonie Rysanek, Christa Ludwig, James King, Walter Berry et Ruth Hesse à laquelle j’ai eu le bonheur d’assister, s’ouvre sur un saloon planté dans les sous-sols de Los Angeles dont la verrière donne sur un gratte-ciel. Le deuxième acte se déroule au milieu d’une clairière enneigée au centre de laquelle est installée une vaste roulotte de cirque capitonnée de rose fuchsia équipée d’un grand lit double de cinéma et de coins salle-de-bain-toilettes et kitchenette, entourée de deux bambis dont les yeux s’éclairent quand il est question d’amour. En lieu et place de forêt californienne, le troisième acte a pour cadre une casse automobile d’où surgit au milieu des épaves de véhicules Minnie vêtue d’une longue robe sortie de chez Tex Avery et qui, sous le regard du lion rugissant de la Metro Goldwyn Mayer, entraîne son amant soudain habillé d’un smoking sur un grand escalier rédempteur de music-hall. Rideau. C’est alors que le public, qui s’était contenu jusque-là, perd tout contrôle et se met à huer à corps perdu, mêlant dans un même hallali plateau, fosse et équipe scénique.

Giacomo Puccini (1858-1924), la Fanciulla del West. Acte II. Nina Stemme (Minnie), Claudio Sgura (Jack Rance). Photo : DR

Y compris le chef d’orchestre, Carlo Rizzi, qui aime pourtant de toute évidence cette partition qu’il dirige quasi par cœur et dont il chante toutes les parties. L’orchestre de l’Opéra lui répond d’ailleurs au cordeau, donnant toutes ses couleurs à la riche partition de Puccini qui a sonné à la perfection, sans pour autant écraser les chanteurs. Cette musicalité partagée aurait dû faire oublier le kitsch que d’aucuns ont au contraire jugé excessif de la scénographie de Raimund Bauer et les longs manteaux de cuir léoniens signés Andrea Schmidt-Futterer. Il est pourtant clair que Lehnhoff aborde l’œuvre au second degré, évitant ainsi les poncifs du western et la pompe mélodramatique du livret de Guelfo Civinini et Carlo Zangarini.

Giacomo Puccini (1858-1924), la Fanciulla del West. Acte III, finale. Photo : (c) Opéra national de Paris, Charles Duprat, DR

Le public de la première a réservé ses ovations aux seuls titulaires des trois rôles principaux : Marco Berti, en Dick Johnson, est un ténor puissant à défaut de style, et le baryton Claudio Sgura campe un shérif de très grande classe. Mais c’est Nina Stemme qui emporte tous les suffrages en Minnie, personnage qui réclame à la fois héroïsme et lyrisme, ce que la soprano suédoise possède à un degré aujourd'hui incomparable, avec sa voix ample et brûlante qu’elle s’est forgée au contact des grands rôles wagnériens. La qualité des nombreux seconds rôles qui font le charme de cet ouvrage, à l’instar des chœurs, contribuent amplement à la réussite de cette production.


Bruno Serrou

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