dimanche 27 juillet 2014

Le Festival des Arcs ou la musique de chambre au rythme des intempéries

Les Arcs, Bourg-Saint-Maurice / Savoie, Académie Festival de musique des Arcs, jeudi 24 et vendredi 25 juillet 2014

Les Arcs 1800. Photo : (c) Bruno Serrou

Les deux derniers jours de mon séjour à l’Académie Festival des Arcs 2014 ont été placés sous le signe du quatuor à cordes, et de deux des dix Traces de Martin Matalon.

Jeudi 24 juillet

Le jeune Quatuor Akilone, constitué exclusivement de femmes (Emeline Concé et Elise De-Bendelac, violons, Louise Desjardins, alto, et Lucie Mercat, violoncelle) a proposé en fin d’après-midi Salle des Fêtes de Bourg-Saint-Maurice un programme ambitieux réunissant deux chefs-d’œuvre pour quatuor d’archets de compositeurs « Mittle Europa », « les Quintes » de Joseph Haydn (1732-1809) et « Lettres intimes » de Leoš Janáček (1854-1928). Ces deux grandes partitions étaient précédées, Espagne oblige, d’une page méconnue et de moindre envergure de Joaquín Turina (1882-1949), « la Oración del torero » (La prière du torero) op. 34 de 1925 dans sa version pour quatuor à cordes (l’original est pour quatuor de luths) constituée d’une brève introduction et de deux pasodobles encadrant deux lents intermèdes. Une pièce passe-partout emplie d’allusions folklorisantes type espagnolades étonnantes chez un Espagnol bon teint que le Quatuor Akilone reprendra en bis.

Quatuor Akilone. Photo : DR

Les quatre musiciennes, qui ont été les élèves de Vladimir Mendelssohn au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris et qui sont actuellement soutenues par le Festival des Arcs qui leur offre à l’année le soutien de grands pédagogues a ensuite donné une interprétation trop retenue et contrainte, au point d’apparaître parfois timorée, du Quatuor à cordes en ré mineur op. 76/2 « les quintes » de Haydn, défait de la luminosité généreuse et sensuelle propre au maître viennois, avant de se faire plus engagées et en concordance avec les élans fiévreux et passionnés du Quatuor à cordes n° 2 « Lettres intimes » que Janáček a composé peu avant sa mort en 1928 comme une suite en quatre lettres d’amour sans paroles à son égérie Kamila Stöslova, femme mariée de quarante ans sa cadette. Pour amplifier la portée émotionnelle de l’œuvre, le compositeur morave avait confié tout d’abord la partie d’alto à une viole d’amour, avant de revenir à l’alto, instrument plus apte à répondre à la difficulté de cette partie. Il convient d’ailleurs de saluer la remarquable prestation de l’altiste du Quatuor Akilone, Louise Desjardins, ainsi que de la violoncelliste Lucie Mercat, tandis que la second violon, Elise De-Bendelac, est apparue plus contrainte, alors que le premier violon d’Emeline Concé a manqué d’assurance et de carnation. Mais toute quatre se sont généreusement engagées dans la conception globale de l’œuvre qui s’est pleinement épanouie dans le finale.  

Fine Arts Quartet. Photo : (c) Fine Arts Quartet

C’est à Arc 1600, dans la Coupole, qu’était offert le concert du soir. Le Fine Arts Quartet de Chicago a donné une lecture ardente et particulièrement sensible du Quatuor à cordes en fa majeur classé par Marcel Marnat comme opus 35 que Maurice Ravel (1875-1937) composa en 1904 avec une dédicace pour son professeur de composition, Gabriel Fauré. Une interprétation saisissante des quatre archets de l’Illinois, où le premier violon, Efim Boico, le violoncelle de Robert Cohen et, surtout, l’alto de Juan-Miguel Hernandez ont érigé un dialogue affable et voluptueux exaltant des sonorités épanouies et charnelles, le second violon de Ralph Evans y apportant sa touche aussi discrète qu’efficace de couleurs et de flamme.

Peyee Chen. Photo : (c) Peyee Chen

Cette grande page de Ravel a précédé Traces VII pour soprano et dispositif électronique en temps réel de Martin Matalon, malencontreusement donnée sous la Coupole d’Arc 1600 où s’était noyée quatre jours plus tôt Traces VIII pour violon et dispositif électronique en temps différé. Ecrite en 2008 pour soprano à la demande de l’ensemble Sillages, cette pièce est constituée d’un prologue, trois mouvements et un épilogue, le tout se présentant sous la forme d’un arc, l’épilogue étant semblable au prologue, mais en moins complexe. C’est à une élève de Donatienne Michel-Dansac, sa créatrice, la soprano taïwanaise vivant à Manchester Peyee Chen, expressément venue aux Arcs pour l’occasion, qu’a été confiée l’interprétation de cette page qui met judicieusement en valeur les particularités de la voix et du timbre de soprano colorature enrichis de la technologie informatique. Peyee Chen s’est avérée digne de la confiance de Donatienne Michel-Dansac, cristallisant l’attention du public profane réuni dans l’enceinte pourtant peu favorable de la Coupole où le son se perd à l’aplomb du sommet du dôme. Autre voix, celle plus profonde et moelleuse de la clarinette somptueusement sollicitée en 1891 par Johannes Brahms dans son sublime Quintette pour clarinette et cordes en si mineur op. 115. Florent Pujuila a enchanté la Coupole de ses sonorités brûlantes et enjoleuses, exaltant le merveilleux chant d’amour de l’Adagio, délicatement enveloppé par les cordes d’un quatuor de fins chambristes constitué pour l’occasion réunissant les violons de Pierre Fouchenneret et Richard Schmoucler, l’alto de Vinciane Béranger et le violoncelle de Raphaël Chrétien, qui a magnifié les cinq variations du finale de ses timbres de braise.

Vendredi 25 juillet

Martin Matalon et Véronique Lentieul. Photo : (c) Bruno Serrou

L’ultime concert entendu durant mon séjour aux Arcs a été donné sous une pluie torrentielle d’orage qui rebondissait bruyamment sur la toiture du Centre Taillefer d’Arc 1800. Ecrivons sans attendre que cette soirée a valu pour la seule seconde partition pour violoncelle du cycle Traces de Martin Matalon. Composée en 2013 pour Alexis Descharmes, qui l’a créée le printemps dernier Salle Cortot à Paris lors du concert de préfiguration du Festival des Arcs 2014, Traces IX pour violoncelle et dispositif électronique est l’une des pages les plus courtes du cycle. Elle n’en est pas moins d’une exigence supérieure de la part de son interprète, dont la virtuosité est continuellement sollicitée, puisqu’il doit attester d’une constante vélocité dans tous les modes de jeux, du pianissimo le plus éthéré au fortissimo le plus consistant, avant de retourner peu à peu vers le silence, jouant de toutes les capacités de son instrument, de l’expressivité la plus lyrique au pizz Bartók le plus sec, en passant par la percussion sur le flanc du violoncelle, l’archet sur le chevalet, de diverses sourdines, etc. La partie électronique magnifie le son de l’instrument qui atteint ainsi la consistance d’un être de chair et de sang. Alexis Descharmes s’est avéré en communion avec les intentions du compositeur, maîtrisant totalement l’œuvre qui, sous son archet et ses doigts, prend sans attendre la dimension d’un classique d’aujourd’hui.

Alexis Descharmes et Martin Matalon. Photo : (c) Académie-Festival des Arcs

Encadrant cette page impressionnante de Martin Matalon, deux œuvres moins convaincantes, l’une à cause de son interprétation, l’autre en raison de son inspiration. La première, la plus courue de Luciano Berio (1925-2003), les Folk Songs pour voix, flûte (aussi piccolo), clarinette, harpe, alto, violoncelle et percussion, a souffert d’une exécution sommaire, avec une soliste contrainte et lointaine, Elsa Maurus, et une direction sans conviction de Pierre Roullier, malgré la présence d’excellents instrumentistes, Silvia Careddu (flûte), Philippe Carrara (clarinette), Pierre-Henri Xuereb (alto), Flaurent Audibert (violoncelle) et Eve Payeur (percussion). Pour sa dernière prestation de l’été aux Arcs, le Fine Arts Quartet s’est associé au piano attentif de Jean-Claude Vanden Eyden pour interpréter de fastidieuses Les Muses andalouses op. 93/9 de Joaquín Turina, qui ont néanmoins permis au second violon du Fine Arts, Ralph Evans, d’imposer son talent, tandis que l’on eut apprécié que la voix de la soprano Ruth Rosique eut davantage à exprimer que le très court finale de cette trop longue partition en neuf mouvements…

Bruno Serrou

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