vendredi 29 août 2014

Yuri Temirkanov a célébré la Russie avec son Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Alexander Kniazev, Yuja Wang et Clément Saunier

Annecy, Ve Annecy Classic Festival, Eglise Sainte-Bernadette, jeudi 28 août 2014

Annecy. façade de l'église Sainte-Bernadette ou se déroulent les concerts symphoniques de l'Annecy Classic Festival. Photo : (c) Bruno Serrou

Conformément à une tradition établie depuis sa première édition, c’est sur des concerts de l’Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg dirigé par son directeur musical depuis 1988, Yuri Temirkanov, que l’Annecy Classic Festival conclut son millésime 2014. La première des deux soirées de clôture a été entièrement consacrée à l’école russe de composition, avec trois de ses représentants les plus célèbres, Piotr Ilyitch Tchaïkovski, Modest Moussorgski et Dimitri Chostakovitch.

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temirkanov dirige l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

Ainsi, après avoir « prêté » sa fabuleuse phalange symphonique successivement à Zoltan Kocsis, Patrick Marco et Fayçal Karoui, Yuri Temirkanov, qui en est le « patron » depuis vingt-six ans après en avoir hérité d’Evgueni Mravinski, qui en avait lui-même été le souverain-maître pendant un demi-siècle, en a repris les rênes pour les deux dernières soirées de l’été musical annecien. Même si nous ne pouvons que regretter le fait que le chef russe assure considérer la création musicale inconsistante, il faut convenir que ce qu’il fait avec ses formidables instrumentistes, qui comptent aujourd’hui encore parmi eux un certain nombre d’éléments ayant travaillé avec Mravinski, est proprement éblouissant, tant la fusion chef/orchestre est totale. Ce qui d’ailleurs pose problème pour les solistes guère habitués à se produire sous sa direction comme avec la formation pétersbourgeoise peu familiarisés avec sa gestique et son anticipation dans le développement du discours musical, sa battue se présentant avec deux mesures d’avance. Ce qui, d’après les musiciens eux-mêmes, est une coutume chez les chefs d’orchestre russes, notamment chez Valery Gergiev, qui est sur le même modèle d’anticipation.

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuja Wang. Photo : (c) Yannick Perrin

Ainsi de l’excellent Clément Saunier, jeune trompettiste français des plus brillants, aujourd’hui membre de l’Ensemble Intercontemporain qui s’illustre en ce moment au Festival de Lucerne, qui a fait le déplacement hier en voiture depuis la Suisse jusqu’à Annecy pour dialoguer avec le piano jubilatoire de la séduisante pianiste chinoise Yuja Wang dans le réjouissant Concerto n° 1 en ut mineur pour piano, trompette et orchestre à cordes op. 35 que Dimitri Chostakovitch a composé au début des années 1930. Le compositeur, qui le créa lui-même au piano à Leningrad le 15 octobre 1933, y manie comme de coutume un humour grinçant sinon grotesque dans les mouvements extrêmes où il use de citations de pages de Haydn et de Beethoven, tandis que le Largo se fonde sur une valse lente alors que le Moderato, où la trompette est absente, tient de l’intermezzo. Yuja Wang en a donné une interprétation vive, enjouée et d’une grande variété de coloris, confirmant son exceptionnelle maîtrise, qui lui a permis de tirer de son Yamaha de concert des sonorités de braise qui se sont déployées sans mal jusqu’au fond de l’église Sainte-Bernadette où j’étais placé, faisant fi de la faible projection du son de ce bâtiment de béton. 

Clément Saunier. Photo : : DR

La brillante pianiste a dialogué avec fougue et onirisme avec la trompette vif-argent de Clément Saunier, qui découvrait à la fois la pianiste, l’orchestre et le chef après n’avoir fait avec eux qu’un seul filage, alors qu’il était installé derrière les violoncelles. D’où ses infimes décalages avec ses partenaires et de légères défaillances dans ses attaques. Ebouriffante et impétueuse dans le finale, Yuja Wang a suscité un tonnerre d’applaudissements mais n’a pas daigné répondre à l’attente du public, qui attendait pourtant une reprise de l’Allegro con brio final…

Annecy. Annecy Classic Festival. Alexander Kniazev. Photo : (c) Yannick Perrin

Le premier concerto pour piano de Chostakovitch était précédé d’une autre œuvre concertante, mais pour violoncelle et orchestre cette fois, puisqu’il s’est agi des célèbres Variations sur un thème rococo op. 33 de Piotr Ilyitch Tchaïkovski. Si l’on peut regretter que, contrairement à la veille où il avait donné à l’orgue sa propre conception d’autres variations, les Goldberg de Jean-Sébastien Bach (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/a-annecy-alexander-kniazev-lianna.html), Alexander Kniazev ait choisi une œuvre un peu courte que Mstislav Rostropovitch a rendue populaire entre toutes, il faut convenir que le violoncelliste-organiste russe en a transcendé l’essence. Cette œuvre atteste de l’attachement au style galant du XVIIIe siècle du compositeur russe, qui ne manifesta pourtant guère d’intérêt pour sa partition par la suite, puisqu’il laissa son premier interprète, le violoncelliste allemand Wilhelm Fitzenhagen (1848-1890), libre de modifier l’ordre des variations. Bien que la version originale ait été redécouverte en 1956 et publiée dans l’édition critique complète de Tchaïkovski, Kniazev a opté pour la tradition héritée de la création. Dialoguant avec un orchestre irréprochable et un chef tout en nuances, le violoncelliste n’a cessé de captiver, tirant de son instrument des sonorités pleines et contrastées, réalisant, en dépit de son jeu au tour assez sauvage, de sublimes pianissimi et entretenant une belle connivence avec les cordes. La beauté de son instrument au graves d’une profondeur saisissante, un vénitien de Matteo Goffriller (1659-1752) attribué à Carlo Bergonzi (1683-1747) de Crémone, son jeu d’une puissance inouïe doté d’un nuancier infini, ses résonances abyssales qui pénètrent le corps de l’auditeur et ses timbres d’une sensualité et d’une chaleur vif-argent sont magnifiés par le puissant contraste formé par cette extraordinaire musicalité et l’homme qui les exalte qui semble tout droit sorti des forêts les plus reculées de l’Oural. Porté par les applaudissements nourris du public, Yuri Temirkanov ne s’est pas fait prier pour bisser avec un Kniazev réjoui l’ultime variation et la coda (Allegro vivo) de l’œuvre de Tchaïkovski.

Annecy. Annecy Classic Festival. Alexander Kniazev, Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

Tandis qu’il avait ouvert la première partie de son programme sur la courte Polonaise pour orchestre à la fois hautaine et pleine de panache tirée de la scène de bal du premier tableau du troisième acte de l’opéra Eugène Onéguine (1878) de Tchaïkovski, Yuri Temirkanov a donné en seconde partie les Tableaux d’une exposition de Modest Moussorgski dans l’orchestration de Maurice Ravel, la « seule qui vaille en Russie » assure Temirkanov. Sa vision ample et somptueusement colorée, s’appuie avec délectation sur l’immense palette de timbres et de nuances de son Philharmonique de Saint-Pétersbourg, capable de réaliser une véritable pyrotechnie, quel que soit le pupitre, des ppp de velours jusqu’à des fff d’airain, sans la moindre défaillance. Cette ample partition de trente-cinq minutes se présente tel un grand poème en dix saynètes soudées par le superbe thème russe richement harmonisé de la Promenade qui se présente à quatre reprises dans le développement de l’œuvre. Le chef russe et son infaillible phalange ont réussi la gageure de donner une vie propre à chaque tableau grâce au prégnant pouvoir de suggestion de cette exécution d’une énergie singulière à laquelle on eut néanmoins aimé une assise rythmique un peu plus ferme et des sonorités plus grondantes, notamment dans Catacombae. Sepulcrum romanum, et une approche plus grinçante et grimaçante du Ballet des Poussins dans leurs Coques et la Cabane sur des Pattes de Poule. Les sonorités « léchées » qui émanent aujourd’hui de tous ses pupitres attestent de l’internationalisation des timbres de la Philharmonique de Saint-Pétersbourg, qui semble avoir perdu ce qu’elle avait de fondamentalement original pour gagner des couleurs plus pleines et sensuelles qu’autrefois.

Annecy. Annecy Classic Festival. Yuri Temirkanov et l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg. Photo : (c) Yannick Perrin

Après le final triomphal de la Grande Porte de Kiev concluant les Tableaux d’une exposition, Yuri Temirkanov n’a pu résister à l’attente pressante et sonore des spectateurs venus en nombre assister à son concert en donnant un premier bis susceptible de les apaiser, un Impromptu de Schubert dans une version pour orchestre à cordes, suivi d’un extrait plus vivifiant du ballet Casse-noisette de Tchaïkovski.

Ce concert est à écouter en streaming sur Medici-tv (www.medici.tv/#!/annecy-classic-festival) pendant les trois prochains mois.

Bruno Serrou

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