jeudi 27 novembre 2014

Bernard Haitink, le Chamber Orchestra of Europe et Emanuel Ax ont sublimé le classicisme de Brahms

Paris, Salle Pleyel, mardi 25 novembre 2014

Bernard Haitink. Photo : DR

Deux ans et demi après leur intégrale des symphonies de Beethoven, la Salle Pleyel a reçu cette semaine Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe dans deux programmes Brahms. L’on sait les affinités du chef hollandais avec l’œuvre de ce dernier qu’il a très souvent dirigée à la tête de grandes phalanges comme les Orchestres du Concertgebouw d’Amsterdam et de la Staatskapelle de Dresde, deux formations dont il a été le patron, et Philharmonique de Berlin dont il est membre honoraire. Ses enregistrements ont indubitablement marqué l’histoire de l’interprétation de ces partitions.

Emanuel Ax. Photo : DR

Ce répertoire, à l’instar de la création beethovenienne, est également familier à cette formation chambriste d’excellence qu’est le Chamber Orchestra of Europe créée en 1981 sous le parrainage de Claudio Abbado et constituée de cinquante-sept musiciens, tous solistes ou membres des orchestres les plus prestigieux venant de toute l’Europe, actuellement basée à Londres. Ce qui a séduit Haitink, conquis par l’expérience acquise avec Beethoven à la tête de cet ensemble, est l’occasion pour lui de renouveler à 85 ans son approche de la somme brahmsienne, loin de l’ampleur sonore et du panel de couleurs des grandes phalanges symphoniques qu’il a dirigées tout au long de sa carrière. Avec un tapis de cordes passant de soixante archets à quarante, la texture de l’orchestre de Brahms est naturellement moins charnel et sombre, mais aussi plus aéré et lumineux, ce qui bien évidemment remet en question certitudes et clichés quant à la surabondance de l’écriture du maître de Hambourg. De petite taille, la stature altière, le pas léger, l’œil pétillant, le sourire aux lèvres, l’élégance faite homme, Bernard Haitink a donné des deux œuvres programmées lundi soir à Pleyel (il avait dirigé la veille les partitions précédentes des deux mêmes genres), les Concerto pour piano et orchestre n° 2 en si bémol majeur op. 83 et Symphonie n° 4 en mi mineur op. 98 des interprétations aérées et chatoyantes avivées par une dynamique souveraine laissant percer un chant d’une luminosité et d’une humanité transcendante.

Bernard Haitink et le Chamber Orchestra of Europe. Photo : (c) PKetterer / Lucerne Festival

Ainsi, l’immense chef-d’œuvre qu’est le Second concerto pour piano de Brahms a-t-il été un moment de pur bonheur musical. Emanuel Ax s’est volontiers laissé porter au dialogue avec Haitink et le Chamber Orchestra of Europe, chacun jouant sa partie dans un sens commun avec une qualité d’écoute et de partage qui a suscité une musicalité tenant du prodige. Les solistes du COE ont partagé avec le pianiste polonais un même panache sans fioritures, particulièrement Richard Lester dans le sublime dialogue du piano avec le violoncelle qui a irradié l’Andante d’une brûlante cantilène, ainsi que Jasper De Waal (cor) dès l’entrée de l’Allegro initial, et tous les premiers pupitres des bois (Clara Andraka, flûte, Kal Frömbgen, hautbois, Romain Guyot, clarinette, Matthew Wilkie, basson). La chaleur et l’abnégation partagées qui ont émané de cette interprétation a donné un tour classique à cette partition qui a ainsi remarquablement préludé à la Quatrième symphonie, sans doute la plus classique de ton et de forme de tout l’œuvre orchestral de Brahms. La conception de Haitink, qui a magnifiquement tiré profit des textures souples et décantées de son orchestre, a tendu vers Haydn tout en ménageant une profonde et noble nostalgie, donnant ainsi à cette ultime partition d’orchestre du compositeur une grandeur souveraine, apportant en outre dans les trente-cinq variations de la chaconne finale une clarté et une progression haletante, la flûte solo et les cuivres respirant néanmoins largement, attestant d’une maîtrise exceptionnelle du souffle et des longs phrasés, tandis que le timbalier John Chimes donnait une résonance singulière à la progression de cet hallucinant finale.

Bruno Serrou  

1 commentaire:

  1. Ce que je regrette ne pas avoir pu être présent.
    Oeuvres et interprètes d'exception comme ceux-là, c'est de plus en plus rare.

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