samedi 31 janvier 2015

L’ARCAL présente un "Armida" de Joseph Haydn d’une vigoureuse jeunesse

Massy-Palaiseau, Opéra de Massy, vendredi 23 janvier 2015

Joseph Haydn (1732-1809), Armida. Production de l'ARCAL mise en scène par Mariame Clément. Photo : (c) ARCAL

Des treize opéras de Joseph Haydn trop systématiquement négligés par la scène lyrique contemporaine, Armida est l’un des plus connus aux côtés de la Fedeltà premiata et l’Anima del filosofo. Composé pour le château d’Eszterháza comme tous les ouvrages scéniques de Haydn à l’exception du dernier - l’Anima del filosofo a été écrit pour Londres -, cet opera seria en trois actes et un peu plus de deux heures a connu cinquante-quatre représentations au théâtre de la cour du comte Eszterházy, entre sa création le 26 février 1784 et 1788. Il sera également représenté du vivant du compositeur à Pressburg (Bratislava), Budapest, Turin et Vienne. C’est cet ouvrage que l’ARCAL, compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, a choisi de produire cette saison 2014-2015 et de présenter dans une tournée lancée en octobre dernier à Saint-Quentin-en-Yvelines, puis présenté à Reims, Massy, Besançon, Clermont-Ferrand, Orléans, Louvrais, Cergy-Pontoise, Niort (1).

 Joseph Haydn (1732-1809) en 1792. Portrait de Thomas Hardy. Photo : DR

Bien que Haydn considérât Armida comme le meilleur de ses opéras, l’ouvrage disparut de l’affiche à la mort du compositeur pour ne réapparaître qu’en 1968, année où il fut donné en concert à Cologne, avant de retrouver la scène à Berne. Tiré du poème épique la Jérusalem délivrée de Torquato Tasso qui inspira Claudio Monteverdi, Jean-Baptiste Lully, Georg Friedrich Haendel, le chevalier Gluck, Fernandino Bertoni et Gioacchino Rossini, entre beaucoup d’autres, le livret utilisé par le compositeur se présente comme une compilation de divers éléments de toutes origines sans doute assemblés par Nunziato Porta, qui allège l’action au point de la rendre singulièrement mince. Néanmoins, apparaît ici clairement le fait que Haydn rend un hommage appuyé à Gluck, dont il a de toute évidence su assimiler la réforme, introduisant ici une grande fluidité dans les arie et les récitatifs souvent accompagnés par l’orchestre pour instaurer continuité et unité dramatiques, tout en s’inspirant du Giulio Sabino du compositeur vénitien Giuseppe Sarti monté à Eszterháza en 1783. Reprenant les passages les plus significatifs de l’opéra qu’elle précède, l’ouverture se présente comme une véritable page à programme préfigurant les affrontements violents entre Rinaldo et Armida, qui cherche à ensorceler ce dernier, les airs guerriers et les scènes pastorales. L’intrigue est connue, puisqu’elle reprend à grands traits celle de l’Armide de Lully et du Rinaldo de Haendel, mais en plus concentré et axé sur la seule psychologie, ce qui rend l’intrigue peu théâtrale. Autour du thème central qu’est le conflit entre l’amour et le devoir, le cadre est l’affrontement sans merci durant la Première Croisade entre Chrétiens et Musulmans, ces derniers étant présentés comme des païens, entre foi et magie, hommes et femmes, chacun des protagonistes restant prisonnier de sa propre vision du monde, de ses valeurs, incapable de comprendre leurs semblables.

La Salle Haydn du Château d'Eszterháza. Photo : DR

A l’écoute de l’œuvre entendue à l’Opéra de Massy dans l’excellente production de l’ARCAL, l’on se demande pourquoi Armida est si peu donné en France. Il s’agit en effet indubitablement d’une pièce majeure de l’échiquier de l’histoire de l’opéra du XVIIIe siècle. Il convient néanmoins de signaler que la partie vocale est difficile à distribuer, particulièrement les deux rôles principaux, la sorcière sarrasine Armida, confiée à une soprano, et le chevalier franc Rinaldo, qui revient à un ténor, rôles qui requièrent un large ambitus et une grande maîtrise de la vocalise, les voix étant traitées comme des instruments, tandis que l’orchestre devient un personnage à part entière et traduit la psychologie des protagonistes. Réunissant flûte, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons, deux cors/trompettes, timbales, cordes et continuo, ce dernier est remarquablement servi par l’ensemble d’instruments anciens Le Concert de la Loge Olympique qu’a fondé le violoniste Julien Chauvin, collaborateur pendant une décennie du Cercle de l’Harmonie de Jérémie Rohrer. Sous sa direction convaincue (le chef donne tous les départs avec une belle maîtrise, et chante la totalité de l’œuvre avec les solistes), vive et précise, tant sur le plan rythmique que des attaques et de la couleur, les musiciens de cette nouvelle formation se montrent parfaitement maîtres de leur jeu, tandis que l’orchestre sonne avec une luminosité rare sur ce type d’instruments trop souvent secs et acides, même si l’on eut aimé des bois plus présents, particulièrement la flûte à bec.

Joseph Haydn (1732-1809), Armida. Production de l'ARCAL mise en scène par Mariame Clément. Chantal Santon (Armida). Photo : (c) ARCAL

Sur la scène, la distribution est tout aussi enthousiasmante que ce qui émane de la fosse. Dans le rôle-titre, la jeune soprano française Chantal Santon, timbre chaud, présence et voix lui permettant une virtuosité épanouie, fait de son Armida un être ardent suprêmement chantant. Face à elle, le ténor espagnol Juan Antonio Sanabria campe un séduisant et solide Rinaldo avec sa voix aux aigus triomphants et au timbre coloré. A leurs côtés, la troupe entière est à l’unisson, avec en Zelmira la soprano française Dorothée Lorthiois à la voix ample et à la musicalité avenante, le baryton canadien Laurent Deleuil excelle dans le rôle du rusé Idreno, le jeune ténor toulousain Enguerrand De Hys, Révélation Classique ADAMI 2014 entendu voilà un an alors qu’il était encore étudiant au CNSMDP dans Reigen de Philippe Boesmans (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/reigen-opera-de-philippe-boesmans.html), est un incandescent Ubaldo (compagnon d’armes de Rinaldo) à la voix franche, l’articulation parfaite et à la ligne de chant irréprochable. Le ténor sévillan Francisco Fernàndez-Rueda  (Clotardo) et la comédienne belge Catherine Hauseux parachèvent cette équipe sans faiblesse.

Joseph Haydn (1732-1809), Armida. Production de l'ARCAL mise en scène par Mariame Clément. Chantal Santon (Armida), Juan Antonio Sanabria (Rinaldo). Photo : (c) ARCAL

D’autant plus que l’ensemble de la troupe se plait à jouer avec un évident plaisir, en authentiques comédiens-chanteurs, cette tragédie amoureuse dans la direction d’acteur réglée au cordeau par Mariame Clément, qui, dans la scénographie de Julia Hansen articulée autour d’un grand tapis persan, situe l’action de nos jours, faisant des héros de la Première Croisade de véritables geeks guerroyant par le biais d’ordinateurs portables et de smartphones, jouant alternativement de la console de jeux et au tennis, et se vautrant sur des canapés, tant et si bien que le spectateur se perd très vite dans les méandres d’une intrigue que les différents cadres de l’action rendent peu claires.

Bruno Serrou

Cette production d’Armida de Joseph Haydn est reprise à Orléans (Scène nationale) le 11 février à 20h30, Besançon (Scène nationale) le 19 février à 20h, à Clermont-Ferrand (Centre Lyrique Clermont-Auvergne) les 25 et 27 février à 20h, Louvrais (L’Apostrophe-Théâtre) le 5 mars à 19h30, Cergy-Pontoise (Scène nationale) le 7 mars à 20h30, Niort (Scène nationale Le Moulin du Roc) le 10 mars à 20h30.

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