samedi 4 juillet 2015

Juventus de Cambrai intronise Félix Dervaux, jeune géant du cor enfant du pays né la même année que le festival

Festival Juventus, Cambrai, Théâtre municipal, jeudi 2 juillet 2015

Félix Dervaux (né en 1990), lauréat Juventus 2015. Photo : (c) Festival Juventus

Cent-six lauréats Juventus en un quart de siècle d’existence. Tel est le nombre de jeunes musiciens qui forment désormais ce qui est plus qu’une amicale, une élite européenne d’interprètes qui accomplissent la plus belle des carrières de solistes et de chambristes.

La première promotion Juventus a compté en ses rangs Xavier Phillips et Alexandre Tharaud, puis, en 1992, Marc Coppey et Andreas Scholl. L’année suivante, François Leleux et Emmanuel Pahud les rejoignaient... Chaque année, des jeunes interprètes sont invités à rejoindre Juventus sous la proposition de leurs pairs, qui les accueillent, les parrainent et participent à leur premier concert à Cambrai. Les musiciens s’y retrouvent une semaine avant le début du festival pour y préparer des programmes variés et contrastés, avec plusieurs effectifs possibles dans le cadre d’un même concert, dont les programmes couvrent quatre siècles d’histoire de la musique.

Fondé en 1991 à Arc-et-Senan dans le Doubs par le Hongrois Georges Gara, par ailleurs chargé de la programmation musicale du Théâtre de la Ville à Paris, Juventus est implanté depuis dix-huit ans dans l’enceinte du théâtre et du conservatoire qui le jouxte, dans cette cité de Cambrai déjà marquée par la présence hongroise depuis huit cents ans, puisque sainte Elisabeth avait pris la place cambrésine sous sa protection en 1207. « Je rappelle n’être pour rien dans le choix des nouveaux membres du club Juventus, relève Gara. Ce sont les musiciens qui attirent mon attention sur leurs jeunes camarades et les choisissent de façon collégiale. Je ne fais qu’entériner leurs choix. » La famille s’élargit chaque année d’un petit nombre d’unités, pour atteindre cette année le chiffre respectable de cent-dix. A chacune des investitures, les impétrants sont officiellement intronisés dans un concert public en partie assuré par eux-mêmes et pour le reste en sonate ou en formation de chambre avec leurs parrains.

Georges Gara remettant le trophée Juventus 2015 à Félix Dervaux. Photo : (c) Bruno Serrou

Cette année pourtant, un seul lauréat, le cent-sixième. Et pas n’importe qui ; un virtuose de très grande classe, qui pourtant ne mesure pas son talent tant il est naturel. Il s’agit d’un jeune corniste français, Félix Dervaux, que les plus grands orchestres internationaux s’arrachent déjà, perpétuant ainsi la réputation des « souffleurs » français dans le monde. « La musique est pour moi une véritable philosophie, convient-il, et je ne peux pas m’en passer, même quand je ne joue pas. Quand je travaillais mes maths à la maison de l'école primaire jusqu'au baccalauréat, j’écoutais des disques ou France Musique, et quand je lis aussi. » Ses prédispositions de musicien sont si considérables qu’il est à 25 ans l’un des cornistes les plus demandés dans le monde. Il s’avère être également excellent pianiste, comme en a témoigné le bis qu’il a donné à l’issue de son concert d’investiture Juventus, le 2 juillet. Cet enfant du pays - il est né en 1990 à Cambrai, et a commencé le piano et la percussion à l’Ecole de musique de Caudry, avant d’entrer au conservatoire de Cambrai dans la classe de piano de Philippe Keller et d’y découvrir le cor par hasard grâce à Yves Polvent qui poussa un jour la porte de la salle de classe de piano (« S’il n’était pas passé… »).

C’est grâce à Juventus que Félix Dervaux a découvert la musique, le soir de l’ouverture de la première édition à Cambrai en juillet 1997 de ce festival hors normes né sept ans plus tôt dans le Doubs. Il avait lui aussi 7 ans. D’abord attiré par le piano, pour suivre l’exemple d’Alexandre Tharaud, qui l’avait ébloui ce soir-là, Felix Dervaux cherchait un autre instrument pour rejoindre l’harmonie municipale de Caudry, et le hasard a fait que c’est le professeur de cor qui passa la tête par la porte de la classe de piano à ce moment décisif. « Le cor m’est apparu facile, se souvient-il, et mon professeur était enthousiaste. Pourtant, le jeu n’est pas évident avant 14-15 ans. J’ai poursuivi mes études de piano jusqu’à 17 ans, pour finalement me consacrer entièrement au cor. Je viens néanmoins de m’acheter un Yamaha demi-queue, car le clavier me manquait terriblement. » Tout en entrant au lycée, il envisage de devenir musicien, et décide de suivre le cursus complet du Conservatoire de Cambrai en piano et cor, pour lequel il opte finalement, « le piano étant trop solitaire pour [lui] qui a besoin de jouer avec d’autres musiciens ». Préparé par Jean-Michel Vinit, il réussit le concours d’entrée au Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon, où il intègre la classe de David Guerrier. « Il m’a apporté sa rigueur incroyable, tant son exigence est ahurissante. Je n’avais jamais imaginé qu’il y ait un tel niveau de quête de perfection. Au point que je me croyais mauvais. » Pendant ses études au Conservatoire de Lyon, ses qualités de musicien d’exception commencent à se répandre. Grâce à ERASMUS, programme européen pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport, il se rend à Berlin pour se former auprès de ses aînés au sein de l’Orchestre Philharmonique de Berlin, où il ses dons ses capacités sont particulièrement appréciées. A la fin de son cursus du CNSMDL, il est reçu au concours de cor solo de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon en 2013. « L’opéra a une exigence différente de celle de musicien d’orchestre. Il faut être très souple, attentif, car cela bouge beaucoup, à l’opéra, ce qui aide à la dextérité, mais l’on est aussi caché du public, puisque l’on est dans une fosse. »

La même année 2013, Félix Dervaux remporte le Concours international de la ville de Porcia en Italie. Tout en travaillant à l’Opéra de Lyon, il se présente en 2014, sur les conseils de Fergus McWilliam, l’un de ses tuteurs durant son cursus à l’Académie du Philharmonique de Berlin au concours pour le poste de cor solo de l’Orchestre Royal du Concertgebouw d’Amsterdam. Ainsi, à 24 ans, il devient soliste de l’un des plus grands orchestres symphoniques du monde, où il se fait d’ores et déjà brillamment remarquer, comme je l’écrivais ici même le 21 février dernier (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2015/02/le-royal-concertgebouw-orchestra.html). « J’aime l’orchestre, il y a de si belles choses pour le cor solo. Je découvre ces parties avec infiniment de bonheur. Je veux tout faire dans ce répertoire, et le faire vraiment bien. Il n’est donc pas question pour moi d’envisager une carrière de soliste ni de chambriste à part entière. » Cet amour de l'orchestre pourrait très vite l'amener à l'Orchestre de Cleveland, où il a été appelé à postuler au poste actuellement vacant de cor solo...

Juventus 2015. Ernö Kallai (violon), Félix Dervaux (cor) et Katia Skanavi (piano). Photo : (c) Bruno Serrou

Pour son concert d’intronisation au sein de Juventus, donné devant une salle pleine à craquer, où les Cambraisiens se sont bousculés pour découvrir et entendre le premier enfant du pays à intégrer cette élite de musiciens, entourant sa famille, ses amis et ses premiers professeurs, à l’exception de ceux de piano à qui pourtant il avait tenu à réserver une surprise, Félix Dervaux aura ouvert et fermé le programme, précédé par une jeune fille de onze ans Alexandra Stychkina, avec qui Georges Gara, directeur du Festival, a voulu symboliser la pérennité de Juventus au-delà de cette vingt-cinquième édition. C’est sur une œuvre d’un compositeur allemand rarement joué en France, Josef Rheinberger (1839-1901), la Sonate pour cor et piano en mi bémol majeur op. 178, dont il n’a retenu que le Con Moto, que le jeune corniste cambrésien né en 1990 a lancé le programme, dialoguant avec allant et chaleur avec la pianiste russe Katia Skanavi, lauréate Juventus 1992. Conformément aux structures des concerts Juventus, celui de jeudi a présenté des œuvres aux formats variés, puisqu’entre deux prestations de Félix Dervaux ont été intercalés trois lieder d’Hugo Wolf (1860-1903), sur des poèmes de Goethe et d’Eduard Mörike et le cycle de mélodies de Francis Poulenc (1899-1963), Fiançailles pour rire sur six poèmes de Louise de Vilmorin. La voix de la soprano belge lauréate Juventus 1999 dont la voix lumineuse et le charme naturel ont magnifié les pages de Poulenc, tandis que son élan et sa simplicité ont servi à la perfection celles de Wolf, accompagnée avec conviction par la pianiste Barbara Moser, lauréate Juventus 1992, dont la présence s’est néanmoins avérée trop affirmée. Le morceau de roi était le sublime Trio pour piano, violon et cor en mi bémol majeur op. 40 de Johannes Brahms (1833-1897) auquel Félix Dervaux a restitué toute la poésie évocatrice qui le caractérise, particulièrement dans l’Adagio, instillant tendresse et chaleur à la mélancolie que d’autres cornistes peuvent rendre grise et prostrée, une énergie joyeuse dans l’air de chasse du finale d’où émergent des accents tendrement mélancoliques. Avec ses deux partenaires, le violoniste hongrois Ernö Kallai, lauréat 2011, et la pianiste Katia Skavani, il a donné à cette grande partition chambriste un tour judicieusement symphonique, alternant tutti richement contrastés et charnus, dialogues chaleureux et fusionnels, solos virtuoses et déliés, mettant également en relief les sublimes respirations des admirables mélodies brahmsiennes. Seule ombre légère à cette ardente interprétation, la chanterelle un peu rêche du violon.

Après avoir reçu son trophée Juventus des mains de la pianiste autrichienne Barbara Moser, c’est avec Brahms que Félix Dervaux a mis un terme au concert d’ouverture de Juventus 2015. Non pas au cor, comme la salle s’y attendait, mais au piano, avec une impressionnante interprétation de la Rhapsodie n° 2 en sol mineur op. 79/2 à laquelle le corniste a donné toute l’ampleur et l’inexorable élan.

Bruno Serrou


Festival Juventus Cambrai 2015, jusqu’au 14 juillet 2015. www.music-juventus.fr

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