mardi 15 septembre 2015

Michael Tilson Thomas et le San Francisco Symphony Orchestra ont offert à la Philharmonie une « Titan » de Mahler d’anthologie

Paris, Philharmonie, lundi 14 septembre 2015

San Francisco Symphony Orchestra filant le Concerto n° 4 de Beethoven à la Philharmonie. Photo : (c) San Francisco Symphony

En mars 2014, ils avaient enchanté la Salle Pleyel avec une Troisième Symphonie de Gustav Mahler d’une force et d’une beauté sonore à couper le souffle (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/03/michael-tilson-thomas-et-le-san.html). Un an et demi plus tard, le San Francisco Symphony Orchestra et Michael Tilson Thomas, son directeur musical depuis tout juste vingt ans, se sont produits hier pour la toute première fois à la Philharmonie de Paris, toujours avec Mahler à leur programme. Avant le concert, la formation californienne ne cachait pas son plaisir de se produire dans cette salle qu’elle découvrait, publiant sur sa page Facebook deux heures avant le concert le message suivant « First chance to check the new Philharmonie de Paris. In the words of Yves Montand, "C’est si bon" »

Davies Symphony Hall, la salle de concerts du San Francisco Symphony Orchestra. Photo : (c) Sans Francisco Symphony

C’est donc en toute hâte que je me suis rendu à la Philharmonie, hier. Et je n’ai pas à le regretter. Le San Francisco Symphony Orchestra est en effet bel et bien une machine extraordinairement huilée aux sonorités moelleuses et charnues, une phalange d’une homogénéité et d’une virtuosité sans limite qui lui permet une assurance phénoménale, répondant sans faillir aux moindres intentions de son directeur musical, fort économe en gestes mais toujours précis et élégant.

Yuja Wang (piano) jouant l'un de ses deux bis devant les musiciens du SFSO. Photo : (c) Bruno Serrou

Dans le Concerto n° 4 pour piano et orchestre en sol majeur op. 58 de Beethoven, qui a occupé toute la première partie du concert, Michael Tilson Thomas a assuré seul la dynamique et le lyrisme du discours de cette œuvre esquissée en 1804, composée en 1806, l’année de la Sonate « Appassionata », de la Quatrième Symphonie et du Concerto pour violon e orchestre en ré majeur, créée le 22 décembre 1808, le même soir que les Cinquième et Sixième Symphonies, cette partition est la plus novatrice de œuvres concertantes de Beethoven. Elle inaugure en effet un genre qui ira s’épanouissant avec Johannes Brahms entre autres, la symphonie avec instrument soliste obligé, que Beethoven portera dans un premier accomplissement avec le concerto suivant. C’est le piano qui ouvre l’œuvre, avec quatre accords qui sont immédiatement repris par l’orchestre, les deux entités dialoguant et se fondant l’un à l’autre avec une fluidité harmonique, rythmique et formelle exceptionnelle, supérieurement mise en évidence par Michael Tilson Thomas, qui a porté à bout de bras sa soliste, Yuja Wang. L’on a connu la pianiste chinoise plus inspirée, dans Prokofiev (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2013/02/yuja-wang-fascinante-dans-prokofiev-et.html) ou dans Chostakovitch (voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2014/08/yuri-temirkanov-celebre-la-russie-avec.html) ou encore dans Rachmaninov. A 27 ans, toujours frêle, menue et toute en muscles, cette fois dans une longue robe blanche, le charme cette fois n’a pas opéré. En effet, sa puissance de jeu sied moins à Beethoven, car elle n’a pas su solliciter le riche nuancier beethovenien et ses sonorités linéaires n’ont pas donné la pareille à l’onctuosité du SFSO. Même l’Andante con moto central, court mais dense et bouleversant, est resté neutre, et c’est là encore, malgré ses brèves interventions, l’orchestre qui a donné l’élan requis à ce passage qui devrait chanter tel une aria d’opéra. Pour le reste, Yuja Wang n’a pas réussi à donner le change aux bois et cuivres solistes de l’orchestre en répons. Pour conclure sa prestation en réponse aux ovations du public de toute évidence ravi de ce qu’il venait d’entendre, Yuja Wang a offert deux bis qui lui sont coutumiers, un pastiche du pastiche qu’est la Marche turque de la Sonate n° 11 pour piano de Mozart, et l’aria d’Orfeo ed Euridice de Gluck par Giovanni Sgambati (1841-1914).

Michael Tison Thomas et le San Francisco Symphony Orchestra. Photo : (c) San Francisco Symphony

Dix-huit mois après la panthéiste et gigantesque Symphonie n° 3 de Gustav Mahler, le SFSO et Michael Tilson Thomas ont offert  la Symphonie n° 1 en ré majeur dite « Titan » du même compositeur. Une œuvre qui, dans les années 1960, aurait valu un refus des organisateurs de concert français à Herbert von Karajan et son Orchestre Philharmonique de Berlin tant ils auraient craint une salle vide, mais qui, aujourd’hui, est archi-rabâchée, au point de ne plus même créer l’événement. Du moins le croyais-je avant de l’écouter hier. Mais dès le premier accord, Michael Tilson Thomas a scotché l’auditeur sur son fauteuil, d’où il a eu le plus grand mal à s’extraire à l’issue de cette inoubliable soirée. Cette œuvre d’une extrême virtuosité a été supérieurement servie par le San Francisco Symphony Orchestra. Il est de toute évidence à l’aise dans cette musique complexe à mettre en place tant les structures sont alambiquées, faisant à la fois ressortir les lignes de force, l’architecture, l’unité à travers la diversité, les plans apparaissant évidents et limpides, tout en soulignant l’abondance de l’inspiration, à la fois populaire, foraine, militaire, noble et grave, les brutalités, les saillies, la nostalgie. Unité et altérité dans la conduite de l’œuvre, la rythmique, le phrasé, les respirations étant extraordinairement en place, le chef américain a en outre évité le pathos et les effets trop appuyés, tout en magnifiant une intense expressivité, submergeant la salle entière dans un élan souvent bouleversant.

 Michael Tilson Thomas. Photo : (c) San Francisco Symphony

Le SFSO répond avec empressement à son chef, qu'il suit avec une aisance stupéfiante jusqu’aux limites de la virtuosité tout en gardant une cohésion exceptionnelle. Les cordes, très fournies (seize premiers et seize seconds violons, treize altos, dix violoncelles, neuf contrebasses) sont extraordinaires d’élasticité fruitée - remarquables premier violon d’Alexander Barantchik, contrebasse solo de Scott Pingel, qui a attaqué chaque note de l’introduction du troisième mouvement avec une précision exemplaire et des sonorités de grande beauté, merveilleux tutti d’altos, cordes disposées selon la formule premiers violons, violoncelles, altos, seconds violons et contrebasses dans le prolongement des premiers et des violoncelles -, les bois sont incroyablement colorés et nuancés (magnifique hautbois, mais aussi flûtes, bassons, clarinettes), une première trompette (à pistons) vaillante de Mark Inouye, trombones, tuba et timbales au diapason. Et que dire des huit cors, Robert Ward en tête, si ce n'est qu'ils sont d’une sûreté et de couleurs aux riches et souples pigmentations, et d’un aplomb phénoménal - impressionnant alignement des huit cors sur la largeur du plateau devant la percussion. Le plus stupéfiant est la façon apparemment débonnaire avec laquelle les musiciens de la phalange américaine jouent, sans effort, et obtiennent des résultats qui tiennent littéralement du prodige, tout paraissant évident. Sonnant fier et onctueux, toujours d’une singulière homogénéité, autant dans l’ensemble du groupe que côté pupitres solistes, avec de remarquables individualités, le San Francisco Symphony démontre s’il en était encore besoin après vingt ans de vie commune combien l’entente avec Michael Tilson Thomas est totale. Le chef américain a en outre pris la mesure des particularités sonores de la Philharmonie, jouant avec un plaisir évident et communicatif des impressionnantes capacités de résonance des murs de la salle, laissant le son se propager à travers l’espace jusqu’à ce qu’il s’éteigne complètement, enveloppant l’auditeur comme en apesanteur…  Une « Titan » de Mahler à tomber à genoux !

Bruno Serrou

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