lundi 19 octobre 2015

Valery Gergiev a dirigé Stravinski pour ses derniers concerts parisiens de Chef principal du London Symphony Orchestra

Paris, Philharmonie 1, vendredi 16 et samedi 17 octobre 2015

Valéry Gergiev et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Un monde fou s’est précipité aux deux derniers concerts parisiens de Valery Gergiev avec son London Symphony Orchestra, l’un des plus fabuleux orchestres au monde dont le chef russe est le chef principal depuis 2007. A la fin de la présente saison, il quitte la phalange britannique pour prendre les mêmes fonctions en Bavière, au Münchner Philharmoniker (Orchestre Philharmonique de Munich). L’ambiance était d’ailleurs à la nostalgie et à une proximité jamais atteinte entre un orchestre, un chef et un public conscients de vivre un moment d’une rare intensité.

Habitué des cycles (on se souvient notamment avec ce même orchestre londonien de son double cycle Szymanowski/Brahms - voir http://brunoserrou.blogspot.fr/2012/12/valery-gergiev-et-le-london-symphony.html), Valery Gergiev a donné cette fois la part belle à son compatriote et aîné le plus inventif du XXe siècle, Igor Stravinski. La première des deux soirées a été monographique, puisqu’uniquement constituée d’œuvres du compositeur russe. C’est sur la Symphonie en ut, œuvre de la deuxième des trois périodes de Stravinski, que Gergiev a ouvert ce premier concert. Commencée en 1938 à Paris, achevée en 1940 à Beverly Hills, cette partition d’une demi-heure en quatre mouvements appartient à l’époque néo-classique de Stravinski.  Malgré les circonstances de sa genèse (les morts successives de sa fille et de sa femme emportées par la tuberculose, puis de sa mère, l’exil aux Etats-Unis), cette symphonie ne porte aucune trace d’expression autre que musicale, Stravinski déniant à la musique toute velléité d’expression de « sentiment, attitude, état psychologique, phénomène de la nature ». Valery Gergiev en a donné une lecture sage, rythmée comme il le faut mais manquant de dynamique mais pas d’élasticité, tirant parti des qualités intrinsèques du LSO.

Valéry Gergiev et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

Précédant de deux ans l’œuvre emblématique du néo-classicisme stravinskien qu’est le ballet Pulcinella, le poème symphonique le Chant du Rossignol appartient autant à la première période de Stravinski qu’à la deuxième. Il s’agit en effet d’une adaptation en trois mouvements symphoniques réalisée en 1917 pour le Ballet russe à la demande de Serge de Diaghilev de l’opéra le Rossignol dont la genèse commencée en 1908 fut interrompue par la composition des trois grands ballets (l’Oiseau de feu, le Sacre du printemps, Petrouchka), ouvrage créé le 26 mai 1914 à l’Opéra de Paris qui reprennent l’essentiel des deuxième et troisième actes. Valery Gergiev a judicieusement attaché son interprétation à la période fauve de Stravinski, en sollicitant pleinement les frictions, tensions et rythmes, laissant le soin à l’orchestre londonien d’ancrer l’œuvre dans le néo-classicisme par ses voluptueuses sonorités.

Mais la part du roi a été le Sacre du Printemps, l’une des œuvres qui ouvrit le XXe siècle musical, « un chiffon rouge, un brûlot », comme le rappelle Pierre Boulez. Au sein d’un matériau mélodique et harmonique relativement simple et traditionnel, Stravinsky instille dans ce ballet une vitalité rythmique nouvelle tout simplement incroyable et jamais égalée, qu’il ne pouvait obtenir sans une certaine simplification de son vocabulaire. Sans atteindre la puissance tellurique ni les tensions hallucinées d’un Pierre Boulez ou d’un Esa-Pekka Salonen, Valéry Gergiev instille au Sacre un sens de la narration, une théâtralité haletante qu’il distille à satiété, sûr de son orchestre qui scintille de tous ses feux avec le confort d’une Rolls Royce dopée aux amphétamines.  

Le concert de samedi a mis en regard Stravinski et Bartók, deux maîtres du rythme de la sauvagerie dans l’expression, qui ont tous deux « renouvelé le sang occidental d’une façon assez décisive et brutale », selon une formule de Pierre Boulez. C’est avec la Suite de danses Sz. 77 BB 86a que Béla Bartók a composée en 1923 que Gergiev a lancé son programme. Rondo associant cinq danses auxquelles s’ajoute un finale, les six mouvements mêlent éléments arabes, hongrois et roumains qui confinent à une série d’études de rythmes magnifiée par une orchestration flamboyante que Gergiev a remarquablement mis en valeur. Le chef russe a de toute évidence des accointances avec le compositeur hongrois, ce qui fait d’autant plus regretter qu’il n’ait pas programmé l’intégralité de la pantomime le Mandarin merveilleux op. 19 Sz. 73 (1918-1924), qui, à l’instar du Sacre du printemps treize ans plus tôt suscita un violent scandale le soir de sa création en 1926, se limitant à la suite sèchement interrompu au beau milieu d’un crescendo stratosphérique. Gergiev en a souligné le tour expressionniste, amenuisant les côtés impressionniste et surnaturel, que le LSO a néanmoins laissé percer grâce à ses aptitudes à la polychromie.

Valéry Gergiev et le London Symphony Orchestra. Photo : (c) Bruno Serrou

La seconde partie de ce second concert était entièrement occupée par le premier grand ballet de Stravinski, L’Oiseau de feu, partition qui a suscité un véritable électrochoc à sa création, le 25 juin 1910. Cette œuvre d’une violence fauve où s’associent les orientalismes et l’orchestration somptueuse de Rimski-Korsakov, l’un des maîtres de Stravinski, et la sensuelle transparence de Claude Debussy le tout illustrant un livret en deux tableaux adapté d’un conte populaire russe par le chorégraphe Michel Fokine, rencontra un succès immédiat. Rarement donné dans l’intégralité de ses dix-neuf numéros, les organisateurs de concert préférant les suites de 1911, 1919 ou 1945, le ballet intégral a connu avec Gergiev et le LSO une interprétation foisonnante, avec une introduction bien dans l’esprit de Debussy, et davantage encore d’Ibert (Escales), remarquablement mise en valeur par les textures aériennes du LSO et ses solistes tous plus remarquables les uns que les autres (notons que, à l’exception du premier violon Roman Simovic qualifié dans le programme de « chef d’attaque », tous les premiers pupitres ont changé entre les deux concerts et parfois durant les entractes), qui ont retenti avec une vigueur et un éclat extraordinaire dans les moments les plus retentissants, tout en maintenant une rythmique au cordeau d’un bout à l’autre de l’exécution.

Les deux soirs, Valery Gergiev et le London Symphony Orchestra ont donné l’impression de ne pas vouloir conclure leurs prestations communes, au point de donner deux bis, deux Prokofiev, la marche de l’Amour des Trois Oranges vendredi et un plus long extrait de Roméo et Juliette samedi. Mais il est sûr que le chef russe et la formation londonienne se retrouveront…


Bruno Serrou  

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