dimanche 20 mars 2016

Retour à Lyon de l’excellente production du "Kaiser von Atlantis" de Viktor Ullmann de Richard Brunel

Villeurbanne. Festival pour l’humanité de l’Opéra de Lyon. TNP. Jeudi 17 mars 2016

Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon

A l’instar de son auteur, Viktor Ullmann (1898-1944), l’opéra en un acte et quatre tableaux Der Kaiser von Atlantis (l’Empereur d’Atlantide), extraordinaire témoignage de l’esprit et de l’humanité face à la barbarie, a connu un singulier destin, puisqu’il a été créé en 1975 à Amsterdam, plus de trente ans après avoir été achevé et répété jusqu’à sa générale dans l’enceinte du camp de concentration de Theresienstadt, tandis que la version originale n’a resurgi qu’en 1989, à Berlin. Dans l’intervalle, le compositeur tchèque avait été oublié, exterminé à Auschwitz avec nombre de ses compagnons de captivité à Terezin. C’est dans ce camp de concentration dont les nazis avaient fait leur propagande aux yeux de la Croix Rouge internationale, qu’Ullmann a composé ce troisième opéra en vue de représentations devant un public constitué de ses compagnons de misère. De la cinquantaine d’œuvres qu’il a écrites avant sa déportation et de la trentaine née en deux ans de captivité, seules dix-huit ont subsisté. Celle de l’Empereur d’Atlantide nous est parvenue grâce à l’un des amis du compositeur qui survécut à la Shoah.

Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon

Compositeur chef d’orchestre, Ullmann est aux côtés d’Alban Berg et d’Anton Webern l’un des meilleurs élèves d’Arnold Schönberg, avec qui il a étudié en 1918-1919, avant de devenir l’année suivante l’assistant d’Alexandre Zemlinsky à l’Opéra allemand de Prague, et d’étudier le micro-intervalle avec son compatriote Alois Haba. Dispensé à Terezin de travail obligatoire, Ullmann a pu se vouer entièrement à la musique, organisant les concerts dont il faisait aussi les compte-rendu dans le journal du camp, animant un studio de création et composant comme il ne l’avait jamais fait auparavant.

Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon

Ullmann écrit L’Empereur d’Atlantide, ouvrage sous-titré le Refus de la mort, à la fin de l’année 1943 sur un livret de Peter Kien, qui, à l’âge de vingt-cinq ans, allait lui aussi disparaître à Auschwitz. L’intrigue de cet opéra en un acte est une fable saisissante, considérant le contexte de sa genèse : l’Empereur lui ayant ordonné de conduire ses armées dans une guerre à sa propre gloire, la Mort, offensée, brise son épée et décide que nul ne pourra plus mourir. Le chaos s’ensuit, les condamnés à mort politiques restent en vie, tout comme les soldats et la population qui endurent mille maux. Tandis que la Vie, sous la figure d’Arlequin, se plaint de ne plus faire rire personne, la Mort, défiée par le Tambour, porte-parole de l’Empereur, promet de délivrer le peuple de ses souffrances si ce dernier accepte de mourir le premier, ce à quoi l’Empereur finira par accéder. La partition est un florilège de styles et d’atmosphères condensé en cinquante minutes, usant de tous les modes d’expressions vocales, du parler au chant, la forme variant du mélodrame au bel canto, tandis que l’on trouve des réminiscences de jazz et de musique légère des années vingt (avec dominantes de piano, mandoline, guitare, saxophone), mais aussi Mahler, Schönberg et, surtout, Kurt Weill, entre autres compositeurs interdits, tandis que l’on entend le Deutschlandlied exposé dans le mode ecclésiastique et le choral Ein feste Burg ist unser Gott, que les nazis avaient repris à leur compte.

Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon

Der Kaiser von Atlantis était présenté pour la première fois en France en 1995, à Paris Centre Pompidou, par l’Ensemble 2e2m dirigé par Paul Mefano dans une mise en scène de Serge Noyelle. Dix ans plus tard, l’Opéra de Nancy présentait à son tour une production remarquable du chef-d’œuvre d’Ullmann mise en scène par Vincent Tordjmann Théâtre de la Manufacture. En janvier 2014, Louise Moaty proposait pour l’ARCAL en région Ile-de-France une touchante réalisation. Le spectacle vu à Villeurbanne par l’Opéra de Lyon dans le cadre de son « Festival de l’Humanité » en coréalisation avec la Comédie de Valence, est donc la quatrième approche de ce pur chef-d’œuvre que j’ai la chance de voir et d’écouter. L’Opéra de Lyon reprend au TNP une production que je n’avais pas vue, trois ans après sa première mouture présentée Théâtre de la Croix-Rousse, celle de Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence qui met prochainement en scène Béatrice et Bénédict de Berlioz Théâtre Royal de la Monnaie de Bruxelles dont la première représentation est jeudi 24 mars. 

Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Mikkel Skorpen (Arlequin). Photo : (c) Opéra national de Lyon

La scénographie de Marc Lainé, d’une grande efficacité sur laquelle l’orchestre s’élève sur les hauteurs du plateau, commençant sur les planches avec un arrangement pour quatuor à cordes de Siegfried Idyll de Richard Wagner, « clin d’œil à la récupération par les nazis de Richard Wagner » me dira la dramaturge du spectacle Catherine Ailloud-Nicolas, qui sonne étonnement comme de la musique bourgeoise sitôt les premières mesures de la musique expressionniste d’Ullmann exposées, pour monter à l’arrière-plan au fur et à mesure du développement de l’action sur un praticable toujours plus élevé, tandis que les protagonistes s’expriment pour l’essentiel à hauteur de plancher. L’action se déroule pour l’essentiel autour d’une grande table ovale de conseil d’administration sur lequel circule un autorail à l’échelle HO. Ce hiatus entre Wagner et Ullmann n’est opportunément pas soulignée par la mise en scène qui, au contraire projette à regard distancié qui évite avec délicatesse de surligner le caractère volontairement caricatural de l’œuvre. 

Viktor Ulmann (1898-1944), Der Kaiser von Atlantis. Photo : (c) Opéra national de Lyon

La conception de Brunel et sombre et épurée, ne chargeant jamais le trait. Le Haut-parleur est incarné par une guirlande de téléphones, le Tambour devient policière, Arlequin un adorable clown, la Mort vêtue d’un long manteau noir est plus obligeante qu’inquiétante. La distribution réunie pour cette reprise est entièrement constituée de Solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, tous excellents, de l’Empereur Overall campé par un Samuel Hasselhorn névrosé, à La Mort incarnée avec humanité par Piotr Micinski, en passant par le Haut-parleur d’Alexander Kiechle, le Tambour de Judith Beifuss, l’Arlequin/Soldat de Mikked Skorpen et la Fille coiffée à la garçonne/Soldat d’Andromahi Raptis. Les quinze musiciens membres de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon jouant tous en solistes rivalisent de brio, sous la direction précise et fluide de Vincent Renaud.

Bruno Serrou 

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