mardi 14 mars 2017

Un Retour d’Ulysse dans sa patrie de Monteverdi mi-figue mi-raisin Théâtre des Champs-Elysées

Paris. Théâtre des Champs-Elysées. Lundi 6 mars 2017

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Rolando Villazon (Ulysse), Magdalena Kozena (Penelope).  Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Deuxième opéra complet de Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria (Le retour d’Ulysse dans sa patrie) est le premier opéra que le maître de Crémone a écrit pour Venise, où il a été créé avec succès en février 1640 au Theatro Santi Giovanni e Paolo. Le livret de Giacomo Badorao puise dans la dernière partie de l’Odyssée d’Homère. Après Bologne et une reprise à Venise, l’ouvrage fut donné à la cour de Vienne à la fin du xviie siècle, puis disparut jusqu’à sa redécouverte à la fin du xxe siècle après la redécouverte d’un manuscrit incomplet de la partition originale. Vincent d’Indy en dirigea une première exécution à Paris en 1925, avant d’être suivi par d’autres compositeurs qui en proposèrent leurs propres versions, à l’instar de Luigi Dallapiccola et Hans Werner Henze. Puis l’ouvrage finit par entrer au répertoire, dans les années 1970, avec des représentations à Vienne et à Glyndebourne, et une édition établie par Nikolaus Harnoncourt.

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Incomplète, l’orchestration de l’œuvre laisse une grande latitude au chef d’orchestre quant au choix des instruments qu’il entend utiliser. Au lieu d’un instrumentarium contrasté et flamboyant qui eut donné plus de couleurs, d’expressivité et d’intensité dramatique, Emmanuelle Haïm s’est contentée d’un ensemble de quatorze musiciens (deux violons, deux altos, trois flûtes à bec, un dulciane, trois cornets à bouquin, deux saqueboutes, un percussionniste) et d’une basse continue de neuf instruments (un par pupitre) de son ensemble Le Concert d’Astrée aux sonorités acides et planes, ce qui engendre d’interminables longueurs amplifiées par la direction sèche et sans reliefs qui suscite torpeur et monotonie, ajoutant au sentiment de prostration et d’abattement de la reine d’Ithaque attendant sans espoir son héros de mari.   

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Isabelle Druet (Mélantho), Magdalena Kozena (Penelope).  Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Beaucoup plus rare à la scène que l’Orfeo et l’Incorronazione di Poppea, Il ritorno di Ulisse in Patria, sans avoir la diversité théâtrale du second ouvrage, n’en est pas moins un parangon de théâtre lyrique dramatique. Dans un palais défraîchi et avec des costumes de toutes époques de Julia Hansen, la metteur en scène Mariame Clément s’attache à faire de la princesse d’Ithaque une femme à la fois héroïque et mélancolique, perdue face à ses prétendants envahissants et harceleurs obstinés vêtus de smokings. Les serviteurs Mélantho (Isabelle Druet) et Eurymaque Emiliano Gonzalez Toro) sont comme sortis d’un vaudeville, tandis qu’Euryclée (Elodie Méchin), couverte d’une coiffe et d’une lourde robe, semble venir d’un tableau de maître. 

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Kresimir Spicer (Eumée), Rolando Villazon (Ulysse).  Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Le personnage le plus comique est le prétendant Irus, rôle truculent dans lequel Jörg Schneider excelle, ne cessant de se goinfrer en bermuda et tee-shirt d’énormes hamburgers et de sodas tirés d’un distributeur de fastfoods. Télémaque a tout de l’étudiant benêt et insouciant, enfin Ulysse déguisé en père Fouras de Fort Boyard…

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Magdalena Kozena (Penelope) et les prétendants.  Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Peut-être est-ce en raison de la création de l’œuvre à Venise en pleine saison de Carnaval que Mariam Clément tire Il ritorno di Ulisse in Patria vers l’opéra bouffe façon Offenbach en multipliant les allusion d’un comique pesant, comme le pub de l’Olympe où les dieux jouent aux fléchettes et asticotent les mortels, des seaux de ketchup jetés sur les cadavres qui transforme la scène du massacre en un burlesque jeu de quilles. Seuls éléments vraiment réussi, la photo marine du rideau de scène et l’ultime scène de l’ouvrage où Pénélope reconnaît enfin Ulysse, son mari absent depuis dix ans, et retrouve sa spontanéité juvénile et éperdument amoureuse.

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Rolando Villazon (Ulysse) et les prétendants.  Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Magdalena Kožená est une noble et inflexible reine d’Ithaque particulièrement émouvante dans sa fermeté,  sa droiture et sa lucidité. Point faible de la distribution, Rolando Villazón est un Ulysse atone, autant à cause de sa voix fatiguée souvent étouffée par l’orchestre et éteinte par celle de ses partenaires, mais expressif et sa présence scénique sont indéniables et le ténor mexicain  enfin dans le somptueux duo final avec Pénélope. 

Claudio Monteverdi (1567-1643), Il ritorno di Ulisse in patria. Rolando Villazon (Ulysse), Magdalena Kozena (Penelope).  Photo : (c) Théâtre des Champs-Elysées

Voix ample et colorée, Kresimir Spicer incarne un Eumée enthousiasmant, qui surpasse en élégance et en puissance l’Ulysse de Villazón, tandis que le court rôle de Junon est excellemment tenu par la merveilleuse Katherine Watson. Anne-Catherine Gillet est une Minerve espiègle, Mathias Vidal un Télémaque juvénile, Callum Thorpe, inquiétant prétendant Antinoüs et Temps menaçant… 


Bruno Serrou

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire