lundi 2 octobre 2017

Musica Strasbourg 2017, une édition du festival placée sous le signe de la passion

Strasbourg. Musica. Palais de la Musique et des Congrès, Opéra de Strasbourg, Salle de la Bourse. Jeudi 21, vendredi 22, samedi 23 et dimanche 24 septembre 2017


Intitulée « Passion et douleur de l’humanité », l’édition 2017 du festival Musica est d’une gravité qui reflète les temps présents.

Michaël Levinas (né en 1948), La Passion selon Marc. Michaël Levinas, Marc Kissoczy, Orchestre de Chambre et Ensemble Vocal de Lausanne. Photo : (c) Bruno Serrou

Deux œuvres données en création française ont créé l’événement du week-end d’ouverture. Un oratorio de Michael Levinas et un opéra de Philippe Manoury. C’est avec La Passion selon Marc, Une Passion après Auschwitz du premier que s’est ouverte jeudi la 35e édition du plus grand festival français de musique contemporaine. Michael Levinas (né en 1948), fils du grand philosophe Emmanuel Levinas, a composé une Passion qui réunit les traditions chrétienne et juive en réponse à une commande d’une association lausannoise de musique contemporaine pour la commémoration du cinq centième anniversaire de la Réforme. Cette œuvre pour sept solistes, chœur et orchestre de chambre qui renvoie clairement aux Passions de Bach, affronte néanmoins le douloureux dilemme réputé irréconciliable entre la Passion et la Shoa. Levinas a voulu cette partition universelle. Pour cela, dans un entrelacs complexe mais d’une profonde et simple expressivité, il a entremêlé les langages de différentes tracions, autant littéraires (araméen, hébreu, français médiéval, allemand, que musicales occidentales qu’il met en regard avec le tragique de l’histoire du 20e siècle, tandis que l’œuvre s’éteint sur deux déchirants poèmes de Paul Celan. L’orchestre de Chambre de Lausanne, l’Ensemble Vocal de Lausanne dirigés par Marc Kissoczy, créateurs de l’œuvre, en ont donné une interprétation intense et inspirée, parfaitement maîtrisée et intériorisée. Une partition majeure de son auteur qui ne cesse d’interroger et de bouleverser.

Philippe Manoury né en 1952), Kein Licht. Photo : (c) Opéra du Rhin

Deuxième événement attendu, l’opéra Kein Licht de Philippe Manoury (né en 1952) sur un texte apocalyptique inspiré de l’œuvre éponyme de la Nobel de littérature autrichienne 2014 Elfriede Jelinek. Ce Thinkspiel (Jeu de la pensée) donné à l’Opéra de Strasbourg, créé à la Ruhr triennale en août dernier et qui a fait l’objet est un foutraque de l’actualité sans queue ni tête au point que le compositeur se sent obligé de contextualiser en personne sur le plateau chacune des deux parties de sa pièce extrêmement bavarde. La mise en scène surchargée et brouillonne de l’allemand Nicolas Stemann n’arrange rien à l’affaire. Les protagonistes et la scénographie se déploient dans la fosse et au milieu du public. 

Philippe Manoury né en 1952), Kein Licht. Photo : (c) Opéra du Rhin

Ce qui est regrettable, car la musique avec informatique en temps réel de l’Ircam est particulièrement dense et fluide, et l’écriture vocale d’un beau lyrisme tenu parfaitement tenue à Strasbourg d’une main ferme et précise par Julien Leroy à la tête de l’ensemble luxembourgeois United Instruments of Lucilinet placé en fond de scène une distribution vocale sans faille : un chien, qui symbolise les rescapés de la catastrophe de Fukushima, se présente seul sur un plateau quasi nu, glapissant au milieu de bidons contenant un liquide jaune fluorescent, tandis qu’une trompette jazzy projette un son mélancolique depuis le fond de scène. 

Philippe Manoury né en 1952), Kein Licht. Photo : (c) Opéra du Rhin

Puis deux comédiens, un homme et une femme (Niels Bormann et Caroline Peters) habillés de la même robe longue à paillettes déclament leur texte : comme dans un cauchemar, ils parlent sans parvenir à se faire entendre l’un de l’autre. Ils sont bientôt rejoints par les quatre chanteurs vêtus de la même robe. Ils reviennent plus tard costumés en extra-terrestres puis avec une marionnette, Atomi, dissimulée dans un cercueil. Après que d’énormes tuyauteries aient déversé de l’eau sur la scène transformée en piscine, ils y batifolent, entourés de grandes bulles en plastique, glissant et se retournant en tous sens.

Philippe Manoury, François-Xavier Roth et l'Orchestre du Gürzenich de Cologne. Photo : (c) Bruno Serrou

Plus achevé, le splendide Ring du même Philippe Manoury. Fruit de la résidence du compositeur français à l’Orchestre du Gürzenich de Cologne, cette grande page d’orchestre spatialisé de trente-six minutes, est le fruit de l’imaginaire du grand connaisseur de l’informatique en temps réel qu’est Manoury, qui réalise ici l’exploit d’un temps réel sans électronique. Cette partition magistrale où l’orchestre enveloppe le public conforte le fait que Manoury est bel et bien l’un des plus grands compositeurs de sa génération, avec son extraordinaire maitrise du temps, de l’espace, du son, de l’onirisme. Dirigé avec panache par François-Xavier Roth, le Gürzenich de Cologne a ensuite donné Rêve de Claude Debussy (1862-1918) orchestré par Manoury et Don Quichotte de Richard Strauss (1864-1949), un orchestre qui s’est avéré trop gras pour que la polyphonie straussienne puisse s’exprimer pleinement, écrasant le son délicat du violoncelliste Edgar Moreau, tandis que Sancho Pança était magnifiquement campé par l’altiste de l’orchestre Nathan Braude.

Daniel D'Adamo et les étudiants du Conservatoire de Strasbourg HEAR. Photo : (c) Bruno Serrou

Côté jeunes musiciens (compositeurs et interprètes), deux concerts donnés Salle de la Bourse en fin de matinée ont permis de découvrir les travaux de quatre compositeurs de la classe de Daniel D’Adamo au Conservatoire de Strasbourg, et une jeune soprano et son accompagnateur. A l’exception de Clara Olivares (née en 1993), élève de Philippe Manoury puis de Daniel D’Adamo qui s’est déjà affirmée depuis deux ou trois ans, et de ses quatre épisodes (un prologue et trois mouvements) intitulés Aux nouveaux nés, pour les différentes clarinettes, de la plus grave à la plus aiguë), les trois autres créations mondiales n’ont pas révélé de réelles personnalités malgré un indéniable savoir-faire. Le tout excellemment joué par les Etudiants interprètes du Conservatoire et de l’Académie supérieure de musique de Strasbourg / HEAR dirigés par Armand Angster. 

Yoan Héreau et Raquel Camarinha. Photo : (c) Bruno Serrou

La jeune soprano d’origine portugaise Raquel Camarinha, voix claire, légère et solide, et l’excellent pianiste français Yoan Héreau, avec qui elle forme un duo depuis 2012, ont présenté un programme dense et varié, commençant par de pures Ariettes oubliées de Debussy sur des poèmes de Paul Verlaine, et se concluant sur la bouleversante Apparition du trop négligé George Crumb (né en 1929) sur des vers de Walt Whitman. Les deux interprètes ont donné des quatre Leino Songs de Kaija Saariaho (née en 1952) une lecture douloureusement mélancolique, et apporté aux deux pages de Thomas Adès (né en 1971), Bianca Variations d’après une chanson séfarade et Life Story sur un texte de Tennessee Williams, une dimension insoupçonnée.


Bruno Serrou

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