lundi 23 avril 2018

Enthousiasmant Beggar’s Opera (Opéra du Gueux) réinventé par William Christie et Robert Carsen


Paris. Théâtre des Bouffes du Nord. Samedi 21 avril 2018

John Gay/Johann Christoph Pepusch, The Beggar's Opera par William Christie et Robert Carsen aux Bouffes du Nord. Benjamin Purkiss (Macheath) entouré de jeunes femmes. Photo : (c) Patrick Berger

Parodie de l'opéra italien, The Beggar's Opera (L'Opéra du Gueux), de John Gay (1685-1732) et Johann Christoph Pepusch (1667-1752), fut au début du XVIIIe siècle l'un des ouvrages les plus prisés des Britanniques. Œuvre ouverte chantant les bas-fonds londoniens, cet opéra-ballade devait connaître quantité d'adaptations. C'est dans une version allemande réalisée en 1928 par Bertolt Brecht et Kurt Weill sous le titre Die Dreigroschenoper (l’Opéra de Quat'Sous) que cette pièce anglaise devint universelle. Depuis lors, d’autres adaptations se sont ajoutées, notamment celles de Darius Milhaud et de Benjamin Britten.

John Gay/Johann Christoph Pepusch, The Beggar's Opera par William Christie et Robert Carsen aux Bouffes du Nord. Florian Carré entouré de la troupe lors des saluts de fin de représentation. Photo : (c) Bruno Serrou

La version originale est rarement montée. Du point de vue vocal, nous avons affaire à une comédie musicale qui se rit de l’opéra italien qui s’est imposé à la même époque en Angleterre par l’entremise de l’Allemand Georg Friedrich Haendel. Il faut dire que l’œuvre alterne chanson populaire venues d’Ecosse et de France, et airs savants compilés dès l’ouverture à la française par le compositeur allemand Pepusch. Créée au Lincoln’s Hill Fields Theater de Londres le 29 janvier 1728, cette ballade satirique a été revue pour le Théâtre des Bouffes du Nord par William Christie pour la musique dont seule la trame nous est parvenue sous forme de réduction pour voix et basse continue, Robert Carsen et son dramaturge Ian Burton pour le livret. Du coup, les dialogues judicieusement actualisés centrés sur le Brexit font mouche.

John Gay/Johann Christoph Pepusch, The Beggar's Opera par William Christie et Robert Carsen aux Bouffes du Nord. Kraig Thornber (Lockit) et Robert Burt (Mr. Peachum). Photo : (c) Patrick Berger

Dans le cadre idoine du Théâtre des Bouffes du Nord aux dorures fanées, au cadre de scène délabré et au plateau directement au contact du public, L’Opéra du Gueux acquiert une force, une densité exceptionnelle. N’ayant pas prêté attention à l’alternance, je n’ai malheureusement pas eu la chance de voir le spectacle dirigé du clavecin par William Christie, mais par Florian Carré, claveciniste des Arts florissants, dont neuf autres membres jouant sur instruments anciens des partitions sur tablettes numériques constituent l’ensemble placé côté jardin, qui s’est parfaitement acquitté de sa mission de chef d’orchestre, d’instrumentiste et d’acteur, mais sans pour autant se substituer tout à fait à son « boss », dont l’aura aurait assurément été plus prégnante, étant d’autant plus investi qu’il est à l’origine du projet.

John Gay/Johann Christoph Pepusch, The Beggar's Opera par William Christie et Robert Carsen aux Bouffes du Nord. Benjamin Purkiss (Macheath, Kate Batter (Polly Peachum) et Olivia Brereton (Lucy Lockit). Photo : (c) Patrick Berger

Actualisée, Commençant sur un hurlement assourdissant de sirène de police, la conception de l’Opéra du Gueux est génialement déjantée. Abus d’alcool, de coke et de femmes sont le suc de ce gang d’escrocs et de fonctionnaires véreux rivalisant d’humour sont un régal pour le spectateur. Dans une scénographie de James Brandily faite de grands cartons de déménagement et de manutention de toutes les tailles, entassés du sol au plafond sur toute la superficie du cadre de scène, d’autres servant de sièges, de table ou d’échafaud, et dans lesquels sont stockés les fruits des trafics, une troupe de seize acteurs-chanteurs-danseurs à majorité anglophone rompue au musical rivalise de complots, disputes, rouerie, marchandages, coups bas. Parmi ces personnages hauts en couleur, parfaits reflets du West End londonien, retenons l’irrésistible meneuse d’hommes qu’est Beverley Klein, Mrs Peachum et Diana Trapes à l’abattage inépuisable, l’imposant Robert Burt, le receleur Mr Peachum, et le torve Kreg Thornber, le flic ripoux Lockit, qui rivalisent en forfaitures aux dépends du trop beau et entreprenant Macheath de Benjamin Purkiss, trop aimé des femmes, dont l’effrontée Polly Peachum campée avec onirisme par Kate Batter, et la vindicative Lucy Lockit de l’entreprenante Olivia Brereton. Un spectacle à ne pas manquer, qui, après Paris, partira en tournée dans la France entière (1).

Bruno Serrou

1) Théâtre des Bouffes du Nord jusqu’au 3 mai. Puis en tournée de septembre 2018 à février 2019, à Clermont-Ferrand, Angers, Saint-Brieuc, Saumur, Dinan, Vannes, Saint-Nazaire, Le Mans, La Roche-sur-Yon, Laval, Nantes, Caen, Versailles, Rennes, Quimper, Reims, Massy-Palaiseau, La Rochelle, Luxembourg, Genève, Edimbourg, Liège, etc.

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